hrp - MDR IMAGES & GIFS RANDOMS NO JUTSU COMME PROMIS

le petit chaperon rouge est mort
me laissant trop de place dans mon coeur d'enfant

C'est l'évidence même qui frappe sa poitrine quand le bruit sourd d'un livre qu'on referme brutalement retentit. L'immense pavé est jeté sur le lit, les draps sont lancés de l'autre côté du matelas, une créature émerge de sa couette de duvet – c'est une gamine qui lisait des contes avant de s'endormir, à dix-neuf heures du soir. Il fait encore jour dehors, mais c'est un jour laid et gris qui ne tardera pas à devenir encre pour envelopper l'école des fous.
L'épais volume des contes de Grimm était le seul livre que Wolle lisait, de bon coeur, pour la trente deuxième fois d'affilée. Il était, évidemment, dans sa langue maternelle, avec des pages cornées et quelques unes disparues, mais le petit chaperon rouge était intact. C'était une belle chose que de contempler les gravures en attendant le sommeil d'une nuit prématurée, mais c'était encore mieux de se lever comme un ouragan à cause de ces ladites gravures.

La bourrasque est debout, elle enfile de fines chaussettes blanches trouvées en dessous du sommier, elle prend ses clés, son pavé, son négligé, et à moitié vêtue elle traverse les couloirs d'Aisling sans rencontrer personne. C'est l'heure du dessert, dessert sucré, dessert gai, personne ne la verra moitié nue courir comme une image fantomesque, se réfugier dans le grenier et fouiller les larges caisses de bois. Ses contes sont par terre, malmenés maltraités et attendent que leur maîtresse soit contente.
Et elle l'est.
Elle contemple avec émerveillement le tissu fluide et pourtant lourd, tout doux, tout éclatant. Elle le déploie et il traîne par terre, il s'emporte un peu avec un petit courant d'air mais il ne s'échappe pas, elle le met sur son épaule et disparaît aussi vite qu'elle est venue.

Elle redescend pour rafler les tiroirs retourner les rideaux et faire jaillir les bijoux de la caverne d'ali baba. Les mouchoirs de soie par terre, les ballons gonflés en l'air. Elle rajoute du chaos dans le chaos, mais qu'importe ? Elle retournerait aisling entier pour arriver à ses fins. Sa précédente acquisition précieusement posée à l'entrée, elle se démène, bondit d'une rangée à une autre, fouille les armoires les tiroires les commodes les pas commodes, les meubles les boîtes, tout, elle s'excite et elle s'énerve, elle s'échauffe et avant de se refroidir un frisson de soulagement, ou d'excitation la parcourt. Elle caresse la fourrure épaisse, grise et chaude, sourit, s'enflamme, part déjà.

le petit chaperon rouge est mort
oubliant dans mon coeur mes erreurs d'antan

C'est elle, elle la cherchait. Elle la cherchait depuis très peu de temps seulement, luttant contre la saleté attirée par le beau tissu pourpre, et contre le froid qui la gagne. Le temps humide n'arrange rien, c'est parti pour une bonne crève.
Mais l'essentiel, c'est qu'elle était là, trop belle, trop fine, trop parfaite.

< Stroke, Stroooke. >

Ce sont elles. Les seules décervelées qui s'appellent par leurs pseudonymes, peut-être était-ce volontaire. Un geste adolescent de refus de soi-même, partagé, en fraternité mal méritée ?
Sa voix à elle est lente, basse, presque cassée, elle a lentement prononcé la délicieuse diphtongue, la langue contre le palais, qui se détache et qui laisse fuir une consonne brisée éclatée mal famée.

La demi-pénombre offre un curieux portrait en contre-plongée, précurseur de scènes nébuleuses et floues; la belle crinière blonde de l'élémentaire lui offre une auréole tout en longueur. Il y a les teintes claires et lumineuses de son brushing impeccable puis l'ombre complète en ce qui concerne le visage de la madone.

Elle s'avance, tend les bras, l'enlace, sent son parfum et son shampoing qui valent peut-être le quadruple du triple de la garde-robe de la brune, elle la tient un peu fort et en se relâchant étend la magnifique cape rouge sur les épaules de la blonde.

< Ca te va bien. >

Stroke ne doit pas comprendre, mais elle comprendra vite, très vite. Les mains abattent la cape sur le haut de sa tête, la bénédiction est accomplie. La soirée où elles étaient émues devant le plus gros navet du siècle paraît soudainement proche, elles n'oublieront pas un tel film.
Elle comprendra vite, elle comprend en voyant la monstrueuse gueule du loup sur le front de la psychique, et cette fourrure qui s'étend dans son dos, sur de légers vêtements en coton blanc rugueux.

Elles sont les seules idiotes qui s'appellent par leurs pseudonymes, Stroke et Wolf, ou Wolf et Stroke, la caresse et le loup, le loup et le coup.
Et qu'elles sont laides dans leur ignoble bêtise, leurs rires irréfléchis et leurs cris aigus, Scarlett dans sa perfection plastique et son abjecte conversation sans fond, Wolle dans ses provocations insolentes et son impunité extrême. Leurs traits de visage se déforment, se tordent dans des grimaces de singeries, elles qui à la base ne sont pas laides, et elles s'obstinent à le devenir dans un état de vie où elles acceptent leurs conditions, et, pire, les dégradent.

Mais ça, elles ne le voient pas, elles se retrouvent, gloussent et dandinent, l'une aboie l'autre roucoule, l'une ronronne et l'autre mord.

je n'oublierai jamais les soirs à la veillée
où je lui racontais la belle histoire

La lumière froide lui hérisse les poils, elle frissonne, mais elle n'a pas froid : le sang bouillonne en elle.

< Allez, on joue ensemble ? >

Scarlett est parfaite pour ce rôle. Elle est, en réalité, la plus apte à porter une longue tenue vermeil, mais surtout, la seule qui accepterait un jeu pareil. Avec un loup qui fait un mètre soixante et quelques, un loup qui parle tout bas tout bas et a des yeux bleus, c'est possible, accepter un rôle pareil ? Pour Scarlett, oui, qui ne verra pas d'inconvénient à jouer le rôle de la victime, n'est-ce pas, victime d'une fille romanesque trop imaginative, proie d'une amie brusque et obstinée.

Elle lui prend ses mains fines et blanches et regarde ses ongles, ah alors même jusqu'au bout des doigts, Scarlett était-elle si bien finie, gâtée par la nature et par ses gènes ? Comme elle était élégante dans sa robe rouge, tendre et douce ! Elle méritait son prénom, son joli prénom écarlate, léger, léger, et tout solennel à la fois. Comme son teint portait bien le fin velours trouvé au grenier ! Il fallait comparer la poupée anglaise à cette brute épaisse qui l'entrainait dans son délire psychédélique, la fourrure sur sa peau mate, sèche, qui pelait et qui grattait. Elle eut un petit regard pour son corps sous son enveloppe bestiale : c'était, peut-être, une épave qu'elle voyait en dessous du coton trop fin, elle regarde ses propres seins trop durs, trop visibles sans soutien-gorge, en dessous du vêtement, trop pointus et pourtant trop graisseux, cela suffisait, il ne fallait pas regarder plus loin, c'était dégoûtant et dégueulasse, il fallait plutôt admirer le chef d'oeuvre qui se tenait en face d'elle.

Comme la salle des saisons aurait été appropriée pour jouer aux rôles des contes ! Le printemps pour la joie de chaperon rouge, l'été pour la vie de la foret, l'automne pour l'angoisse naissante, l'hiver pour le souffle infect du loup. Le contrejour, le ciel gis foncé, les vitres sales, ce n'était pas une bonne idée.

Elle souffle, tout bas tout bas :

< Tu as peur du loup ? >

le petit chaperon rouge est mort
emportant mon secret, à tout jamais il dort.