[En espérant que ça te va ^^ Les mots en vert sont prononcés en japonais.]
Parfois, Molly avait l'impression de passer sa vie à la bibliothèque, et ce n'était pas tout à fait faux. Depuis tout le temps qu'elle était à Aisling, elle avait parcouru encore et encore tous les moindres recoins du gigantesque édifice, des caves les plus sombres aux forets denses qui portaient des livres dans leurs troncs. Le système de classement était complètement chaotique mais elle avait même réussi à y trouver une certaine logique, et à savoir se repérer dans ses méandres. Elle se disait justement ça alors qu'elle se dirigeait une fois de plus vers son repère habituel à travers les couloirs sinueux d'Aisling, une fois les cours finis. Elle était un exemple de discipline, les spartiates auraient été fiers d'elle. Pas de loisirs décérébrés, de télé ou de sorties pour Miss Fitz, elle ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'elle avait adressé la parole à quelqu'un de son âge. En fait, plutôt que les spartiates, c'est son père qui serait fier. Son père qui voulait affuter son esprit comme une épée, qui avait fait d'elle sa disciple. Qui l'éloignait des basses considérations adolescentes sur son physique ou comment être populaire et les redirigeait vers la grandeur de la littérature, des philosophes et de la science. Molly ne sentait pas le manque de relations sociales... Enfin, la plupart du temps. Il lui prenait par moments, par hasard, à envier ces élèves qu'elle voyait comme de l'autre côté d'un miroir, se chamailler et s'aimer, vivre. Quelques uns attiraient son regard plus que d'autres et elle se prenait, presque malgré elle, à suivre de jour en jour, à distance, sans en avoir l'air, leurs états d'âme et leurs aventures.
Et ce jour-là, retirée dans une aile particulièrement obscure de la bibliothèque, Molly se surprit à ce genre de pensées. Elle cherchait un de ces livres propres à Aisling qui traitaient des dons et de leurs porteurs, espérant trouver quelque chose qui l'aide dans la maîtrise de son don, des conseils peut-être, et désespérait de trouver quelque chose (qui, de préférence, ne mordait pas) sur le multilinguisme, lorsqu'elle aperçut une autre élève. Elle ne semblait pas vraiment savoir ce qu'elle cherchait, elle allait rarement plus loin que le résumé quand elle avait un livre entre les mains et le reposait presque immédiatement. Attitude de flaneuse que Molly avait souvent rencontré, mais pour une raison ou pour une autre, elle se prit à observer celle-là à travers les rayons, continuant, l'air un peu absent, ses recherches. Elle avait l'air d'avoir son âge, peut-être un peu plus, et malgré son uniforme et son pull large elle avait un air soigné. Sophistiqué. Elle était maquillée, comme toutes les « amies » superficielles de son père et pourtant, il y avait quelque chose de digne dans son attitude. Malgré son dédain pour les livres. Malgré le fait qu'après avoir abandonné tout vecteur de savoir réel elle se soit assise à une table pour ouvrir... un magazine de mode. Oui. Peut-être Molly se trompait-elle, peut-être n'y avait-il chez elle rien de plus attrayant que chez toutes ces dindes qui se précipitaient pour obtenir un sourire de son père. Elle soupira et repris ses recherches. Sans pouvoir s'empêcher un coup d'oeil vers la jeune fille de temps à autre. Son identité restait un mystère. Elle n'était pas dans son année, ni chez les Psy, elle en était à peu près sûre, mais à part ça elle ne savait rien d'elle.
Elle finit par trouver un livre qui s'avérait prometteur –
Le Langage et les porteurs de dons – et le sortit de son étagère. Il faisait près de cinquante centimètres de longs, quarante de large et une bonne trentaine d'épaisseur, aussi la frêle Molly ne put aller beaucoup plus loin avec le volume sous le bras que la table la plus proche... Qui s'avéra être celle choisie par son autre et plus confidentiel objet d'étude. Le livre atterrit sur la table avec fracas, envoyant le magazine de la jeune inconnue voler à deux mètres de là. Molly, confuse et se sentant légèrement coupable, comme si c'était de fait son intérêt pour la jeune fille qui avait fait s'envoler le magazine, s'excusa dans un marmonnement incompréhensible et alla le chercher sans laisser à l'autre le temps de se lever. Il se trouva par la suite que c'était une idée particulièrement mauvaise.
Elle ramassa le magazine, et son regard en parcouru malgré elle la couverture. Mode japonaise.
Langue japonaise. Il suffisait d'un mot, écrit ou prononcé, et il était là, sur cette page. Les caractères auparavant inconnus devinrent tout à coup familier pour Molly. Des centaines, des milliers de mots nippons surgirent tout à coup en trombe dans son esprit, chacun voulant sa place, chacun exigeant d'être prononcé. Sans s'en rendre compte, elle lâcha le magazine et se saisit la tête, son esprit tourbillonnant dans un océan tapageur de nouveaux mots, d'une nouvelle écriture, d'un nouveau monde. Il fallut bien cinq minutes pour que la tempête se calme, mais même là, ce n'était pas finit. Elle en avait pour une bonne quinzaine de jours de migraine.
«
Tu aurais pas... » Les mots avaient un son étrange dans sa bouche. Elle ne pouvait être sûre qu'elle parlait bien anglais, et en effet, elle parlait japonais. «
Tu aurais pas un aspirine... ou quatre ? »