Lusso est un brouillon polymorphe qui n'a pas de caractère bien défini. Il n'est pas gentil, il n'est pas méchant, il fonctionne comme une éponge humaine et s'adapte aux situations comme un caméléon. À lui seul il n'existe pas, à lui seul n'est personne, CQFD.

Il est d'ordinaire pessimiste et adore s'enfoncer dans le fatalisme. Il voit le verre d'eau à moitié plein par pure logique puisque la moitié de vide (donc la moitié de zéro) n'existe pas. Il n'excelle pas dans les compliments et n'aime pas qu'on lui en fasse. Il passe le plus clair de son temps à peindre des toiles qu'il est le seul à pouvoir contempler. Il mange de tout, sauf des tomates. Il parle le gallois et en ponctue souvent ses phrases sans s'en rendre compte. Il se considère sans orientation sexuelle et n'est attiré par aucun sexe. Il aime bien compter les choses par ennui, que ce soit le nombre de carreaux de toutes les fenêtres d'une pièce ou le nombre de cigarettes qu'il lui reste dans son paquet. Il est roux.

Il lui arrive de croiser sa mère au détour d'un endroit alors qu'elle est morte d'un cancer il y a plusieurs années. Il ne sait pas faire de bicyclette et ne veut pas savoir en faire. Il aime s'étendre dans l'herbe la nuit et rester allongé plusieurs heures à regarder le temps passer. Il parait mélancolique aux premiers abords, mais se révèle tout simplement désillusionné lorsqu'on le connait mieux. Il ne sait pas très bien lire, de par son manque d'intérêt en la chose et parce qu'on le lui a très mal appris lorsqu'il était plus jeune. Il sait cependant lire le braille puisqu'il a passé toute sa tendre (ou pas) enfance dans un centre pour malvoyants où son père travaillait.

Il aime bien griffonner des formes géométriques lorsqu'il n'a rien d'autre à faire ou lorsqu'un cours d'histoire l'ennui à mourir. Il sait coudre et tricoter, bicause sa grand-mère le lui a appris. Plus vieux, il aimerait devenir vétérinaire ou dompteur de lions. Son animal préféré est le panda et il s'est promis d'en avoir un plus tard. Il chante sous la douche et sait gratifier ses cheveux d'un magnifique turban en serviette pour les éponger (turban dont seules les femmes ont le secret).

Après réflexion : il mange de tout, sauf des tomates et du tofu. Il ment sans s'en rendre compte, comme par habitude, mais se ravise souvent lorsqu'il le remarque. Il pense qu'il pense trop. Il n'aime pas se voir imposer l'hygiène des autres et n'impose donc jamais la sienne. Il n'écrit pas très bien et fait beaucoup de fautes. Il déteste se faire corriger ou qu'on lui reproche sa quasi analphabétisation. Il n'aime pas les secrets, se fout des secrets et ne veut pas en entendre parler. Il lui arrive de se parler à lui-même lorsqu'il se croit seul, ce qui laisse parfois place à de vrais monologues. Pour lui, les filles sont toutes des Barbies et les garçons sont tous des Kens. Il classe les gens et frôle la misogynie pour les femmes "simplistes" qui ne jugent que sur l'apparence et sur le poids. Lorsqu'il avait six ans, son meilleur ami s'est fait amputé d'un bras. Lorsqu'il avait huit ans, ce même ami a déménagé et lui a offert une de ses prothèses en cachette pour qu'il se souvienne toujours de lui : il l'a conservé dans un vieux carton au grenier.

Lorsqu'il parle, on dirait un piano désaccordé teinté d'un drôle d'accent. Il déteste qu'on lui demande d'où vient cet accent d'ailleurs. Il se prend parfois d'affection pour une personne en particulier, un/une bon/bonne ami/amie, mais ne se considère pas être de ces personnes pouvant aimer et être en couple. Il sait jouer quelques musiques débiles au piano, mais sans plus. Beaucoup de personnes le trouvent trop mature pour son âge, que ce soit des adultes ou d'autres jeunes qu'il côtoie : il s'en fout un peu. Amateur de cafés noirs.

Il aime croquer (du verbe faire des croquis) la silhouette d'inconnus rencontré par hasard dans un cours ou ailleurs. Il aime également faire des caricatures de personnes qu'il a de travers. Il aime beaucoup son père même si leur relation est tendue et s'en veut souvent de ne lui donner des nouvelles que quelques fois par année. Lorsqu'il s'agit de ses sentiments ou de ses émotions, il se révèle être un confrère tout à fait acceptable d'huîtres ou d'autres mollusques. Quand il était petit, on lui a fait croire que les cloportes transmettaient l'encéphalopathie spongiforme bovine (souvent appelée maladie de la vache folle par les enfants) et les crains encore aujourd'hui par peur d'être contaminé. Du haut de ses seize ans, il fume un paquet de vingt-cinq cigarettes par jour et dépasse largement ce nombre en cas de grand stress.

Il s'est brisé une jambe un jour en apprenant à faire du patin à glace et n'en a plus jamais fait depuis. Il n'aime pas le sang, n'aime pas en voir et n'aime pas savoir qu'il y en a quelque part près de lui. Il ne se souvient plus beaucoup de sa mère, mais sait qu'elle travaillait dans une morgue comme thanatopractrice, qu'elle avait de longs cheveux roux et qu'elle souriait toujours avec un air morose. Il a un QI de 136. Il est passionné par la culture inutile et dont personne ne se soucis : ce qui affecte de beaucoup son niveau de sociabilité, n'ayant pas les sujets de conversation habituels Qui connait l'Ave Maria en latin par cœur ? Lui. Il est de ceux qui n'aiment pas jeter des choses et se retrouve souvent à accumuler plein d'objets bizarres qui ne lui serviront jamais à rien, que ce soit des boutons de chemise aux morceaux de tissu. Il ne sale jamais sa nourriture et aime beaucoup tout ce qui est épicé. Il fait une fixation sur son poids d'anorexique et déteste qu'on lui en fasse la remarque : il porte en permanence des vêtements larges pour étouffer ses contours.

Il déteste qu'on lui dise de compter les moutons lorsqu'il n'arrive pas à dormir parce que ça ne fonctionne pas (et qu'il passe plus de temps à s'imaginer mentalement les moutons sauter par-dessus une barrière qu'à les compter). Lorsqu'il était plus jeune, il se brossait les dents à l'aide d'une petite minuterie musicale : depuis à chaque fois qu'il se brosse les dents il doit la fredonner. Il n'aime pas les journaux, les nouvelles à la télé et les nouvelles à la radio. Il déteste aussi la politique tout simplement parce qu'elle ne vient pas le rejoindre moralement. Il est athée, bien qu'il vienne d'une famille chrétienne. Il ne peut pas dormir sans que la porte de son placard ne soit fermée, par peur superstitieuse des fantômes. Il a déjà eu une petite amie, il a déjà eu un petit ami : résultat il n'aura plus rien d'autre. Il est asthmatique. Il a été diagnostiqué sociopathe (même s'il ne se considère pas comme tel) uniquement parce qu'il gère l'empathie difficilement.

Il sait imiter plusieurs voix différentes et aime beaucoup caricaturer son entourage. Il n'a que vingt et un amis sur Facebook, mais ce sont tous de vrais amis. Il adore tweeter des questions existentielles. Il tire un polaroid de sa tête à tous les mois et conserve toutes les photos dans un album nommé "drwy'r oesoedd" (à travers les âges en gallois). Il fait la collection de briquets vides. Il aime prendre un verre de jus d'orange et une tartine de confiture comme petit déjeuner. Il a déjà été amoureux d'un cousin lorsqu'il avait une dizaine d'années. Il est enfant unique. Il a du mal à comprendre la vie sous tous ses angles, à comprendre les adultes et à concevoir sa propre vie d'adulte avec toutes la pression et les responsabilité qu'elle impose. Il n'a jamais bu d'alcool et n'a jamais essayé la drogue. Il ne comprend pas pourquoi tous les jeunes sont aussi fascinés par la sexualité.

Lorsqu'il était plus jeune, il aimait se battre gentiment avec ses amis et rentrer chez lui couvert d'ecchymoses. Il croit que les humains ne sont que des virus et que la terre est en fait le noyau d'une cellule dans le corps d'un autre humain, qui lui aussi est en fait le virus d'un autre noyau de cellule, etc. Il s'est fait tatouer une triangle noir sur la nuque à l'insu de tout le monde, y compris son père. Lorsqu'il découvre une nouvelle chanson qui lui plait, il se sent obligé de la mettre en boucle jusqu'à apprendre ses paroles par cœur.

Les sentiments sont innés et inscrits en chaque être humains. Ils influencent l'humeur, le tempérament, la personnalité, la motivation, et très certainement bien d'autres choses que la science moderne n'a pas encore exploré. Les sentiments et les émotions, intimement liés, sont à la fois source d'énergie et d'apathie. Leur intrusion dans la vie de tous les jours affecte ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez et ce que vous aimez. Un humain dépourvu de cette capacité ne peut être qualifié d'humain.

Lorsque Lusso essaie d'expliquer clairement son don, il ne trouve rien d'autre à dire que « les sentiments yw heintus. » Les sentiments sont contagieux.
Une bonne nouvelle entraîne de la joie et apporte de l'énergie. Une personne heureuse influence indirectement son entourage en lui partageant son énergie et sa vitalité. De même que quelqu'un de déprimé attirera la compassion et laissera planer autour de lui une énergie négative qui sapera le moral de toute une pièce. C'est sa façon simpliste de décrire en quoi consiste son pouvoir : pour lui les sentiments sont malléables et peuvent se transmettre.

L'amenuisement des sentiments consiste, comme son nom l'indique, à tamiser les ressentis des autres via une manipulation biochimique complexe chez l'individu ciblé. Pour rendre ce genre de chose possible, la perception de Lusso sur son environnement s'est adaptée de sorte qu'il en vienne à voir, sentir et comprendre l'équilibre chimique de l'organisme humain, tout du moins celui concernant les sentiments et les émotions. La sérotonine secrétée par le cerveau est signe de bonheur, la réduire jusqu'à un certain niveau peut entraîner la disparition de ce sentiment. Sur papier, l'idée peut paraître facile mais en pratique il faut comprendre jusqu'à quel niveau chaque humain peut voir ses neuromédiateurs altérés.
Pour faire simple, imaginez Lusso entouré d'une aura chargée magnétiquement et admettons que les sentiments positifs sont chargés positivement et qu'inversement les sentiments négatifs le sont négativement. Cette aura magnétique agit comme un aimant et peut, à volonté, être chargée négativement et positivement elle aussi. Les contraires s'attirant, l'aura chargée négativement serait en mesure d'attirer et d'annihiler les sentiments positifs, de même que pour son opposé avec une aura chargée positivement. Bien entendu, le procédé réel est beaucoup plus complexe, mais il s'agit de l'idée de base.

Lusso est incapable d'induire les sentiments chez autrui et ne peut pas décider de rendre une personne joyeuse. Il peut simplement amplifier la sensation de joie en réduisant la tristesse et la déprime. Il peut amoindrir les effets de la colère et peut aussi, si une personne particulièrement exubérante l'exaspère, lui saper tout son moral.
Où les choses se compliquent, ce sont les répercutions que peuvent produire ce genre de modifications chimiques. Chaque individu étant unique, il est impossible de prévoir les actions qu'entraîneront ces altérations.
Par exemple, retirer trop de « bonheur » chez quelqu'un peut lui donner l'envie de mettre fin à ses jours ; retirer trop de « déprime » chez quelqu'un peut lui donner le sentiment d'être invulnérable et le convaincre qu'il peut essayer de voler. C'est ce qu'il appelle couramment « le complexe bipolaire ».
Sans parler des bouleversements sur la personnalité de quelqu'un, sur sa motivation. Tout ce que vous êtes, tout ce que vous pensez, tous vos goûts sont gérés via les émotions. Un changement trop brusque et mal dosé pourrait rendre la mère la plus affectueuse du monde en garce irritable et amère.

• Les sentiments et les émotions sont générés par l'influence de stimuli internes ou externes. Une situation quelconque engendrera normalement un sentiment approprié à cette dite situation. Lorsque Lusso supprime un ressenti, il s'attaque directement à la signification de cette situation. Il ne détruit pas le sentiment en lui-même, mais uniquement le stimuli dont il est inspiré.
Mise en contexte. Tu gagnes un max d'argent à la loterie et tu es complètement hystérique. S'il trouve que tu lui tapes trop sur les nerfs, il peut choisir de supprimer la dopamine ou l'adrénaline secrétée par ton cerveau. Le gain à la loterie n'aura maintenant plus aucune signification émotionnelle pour toi : tu auras gagné, tu le sauras, mais tu seras incapable de réagir rationnellement à la nouvelle et ce jusqu'à ce que son pouvoir se dissipe ou que ton cerveau reproduise de façon naturelle suffisamment de ces neurotransmetteurs. Entre temps, tu pourras être heureux pour d'autres raisons, mais pas pour celle-ci.

• Lusso peut également défendre aux gens de secréter certaines compositions chimiques pour une durée plus ou moins proportionnelle à l'effort demandé. C'est une façon contournée de supprimer le sentiment en lui-même, peut importe le stimulus dont il est inspiré.

• Lorsqu'il est fatigué et qu'il ne parvient plus à contrôler son don, l'entourage de Lusso en est directement affecté et ne peut plus réagir rationnellement aux stimuli, quels qu'ils soient. Écouter le plus monotone des documentaires peut inspirer une euphorie incontrôlable, ou la plus grande tristesse peut donner l'envie d'aller faire du bowling ou de jouer aux cartes. Dans le même genre, lorsqu'il ressent une émotion très forte, tout le monde autour ne ressentira plus que l'opposé de cette émotion, puisqu'il aura amoindri ce sentiments présents chez eux en l'absorbant. S'il est trop heureux, personne d'autre ne pourra être heureux.

• Il lui est aussi possible de troubler les échangeurs chimiques des animaux, mais les dosages et les balancements n'étant pas conforment à ceux des humains, il ne peut pas réellement intervenir. Il sera toutefois capable de calmer un chien enragé rencontré au détour d'une ruelle et de maintenir le contrôle suffisamment longtemps pour prendre la fuite.

« Maent yw wacsaw, mais sélectifs. » Les Barbies et les Kens d'office. Officieusement proclamés supérieurs, mais condamnés pathétiquement par leur narcissisme exacerbé. Comment les aborder ? Personne ne peut. Il y a ce mur, en titane voyez, qui les sépare du monde extérieur et qui les complaît dans la contemplation absurde de leur propre reflet. Certains restent acceptables, mais ils gardent tous, au plus profond de leur être, un parfait besoin de passer avant les autres et cette nécessité maladive à réussir dans tout ce qu'ils entreprennent.

« Arbenning, ond traed ar y ddaear. » Très certainement les plus sensés, en fin de compte, de par leur connaissance sans doute innée des vrais valeurs de la vie. Peut-être n'ont-ils tout simplement pas envie de voir le vrai visage de l'humanité ? Ont-ils simplement conscience que le monde est bourré de responsabilités et de devoirs à remplir, que ce soit en lien avec la vie exigeante des adultes ou tout simplement la pression que peuvent placer les parents sur les épaules de leurs enfants en espérant qu'ils s'épanouissent plus tard ?

« Leurs rires deviennent exaspérants. » L'énergie qu'ils dégagent est à l'image d'un soleil trop fort qui, bien que réconfortant après trois jours d'averses, finit rapidement par être insupportable. Dans les cercles d'amis, il y a toujours ce genre de personne qui illumine une pièce par sa seule présence et qui transforme n'importe quel tableau dramatique en pure féerie : ce sont eux. Lorsqu'on est d'un naturel morose, il n'y a pas mieux pour vous taper sur les nerfs.

« Ils essaient simplement de comprendre. » L'intransigeance n'attire jamais grands regards, ou alors elle intrigue les trop curieux qui se croient assez intellectuels pour supporter ce genre de comportement. Que peut-on leur envier, sinon leur monde secret et fermé, à la limite de l'autisme ? Le cliché est tel que Lusso, de par sa faroucherie, semble collé parfaitement au groupe même s'il est à mille lieux de dédaigner quiconque. Quelques-uns ne sont pas à leur place dans cette classe et préfèrent de loin se mêler aux autres, chose qu'il souhaiterait aussi faire si seulement il lui était possible de supporter plus que la compagnie d'une poignée de gens.

Lusso est, malgré ce que pourrait inspirer son détachement flagrant, un garçon sans histoire. Si on devait rédiger les grandes lignes de sa vie, elles pourraient tenir en deux phrases à l'endos d'une carte postale ou sur quelque chose d'aussi petit et d'aussi négligeable qu'un post-it jaune collé sur un frigo. « Je suis né, ma mère est morte. J'ai maintenant 16 ans et je suis un détenteur de don. »
Il est sans doute possible d'en énumérer quelques passages, vaguement, mais il ne s'agirait que d'événements insignifiants et sans grands incidents sur son tempérament. D'ailleurs, personne ne parvient à dire d'où peut lui venir sa culture religieuse du silence et son goût morbide pour l'isolement. Il est simplement de ceux qui placent les exigences de la conversation bien au-delà des mots et qui ne savent pas exprimer ce qu'ils ressentent via leur faciès.

Séance du 10/08/2012

▬ Tu n'as pas envie de parler aujourd'hui, Lusso ? Ça ne me dérange pas, parfois ça fait du bien de prendre ces petits temps de repos. Ça nous permet de réfléchir un peu et de répondre à nos propre questions.
▬ C'est pas ça, j'ai pas de questions à répondre. Je me pose même pas de questions. Je fais juste attendre que le temps passe, attendre que rien arrive. Et puis c'est tout.
▬ Que rien n'arrive ? Comment peut-on attendre rien ? Ça reviendrait à ne pas attendre.
▬ Attendre rien, c'est s'assurer de pas être déçu, peu importe ce qui arrive.
▬ Donc tu as peur d'être déçu ? Déçu de quoi ?
▬ J'ai pas peur d'être déçu, c'est juste que... Je sais pas. Attendre rien, c'est se préparer à rien. Parce qu'on peut pas prévoir. Des gens se font frapper par une voiture, est-ce qu'ils l'avaient prévu ? Perdre son boulot, trouver un boulot, avoir une promotion, mettre en cloque une fille sans le vouloir. C'est ça la vie ? Vivre dans l'attente que quelque chose vienne chamboulé notre... notre quoi au fait ? Quotidien ? Routine ? Ça ne m'intéresse pas. Donc j'attends rien, et je fais rien, au final. Du coup rien peut m'arriver.
▬ Hm. Et les bons moments dans tout ça ? Célébrer une victoire, une bonne nouvelle ? Aimer quelqu'un ? La vie est pleine de hauts et de bas, il faut juste savoir profiter des cadeaux qu'elle nous offre et se dire qu'on peut remonter les pentes glissantes.
▬ Mais est-ce que les bons moments valent vraiment de vivre les mauvais ?
▬ Bien sûr. Regarde-moi, hier mon mari a terminé sa journée avant moi et s'est organisé pour m'offrir un bon petit repas à mon retour. C'était une bonne chose, j'étais contente de vivre ce moment.
▬ Si on prends pas la peine de vivre, y'a ni bon moments ni mauvais moments. Et si on vit pas, on s'en fout des bons moments ou des mauvais, c'est pas important. C'est pas important. Does dim byd yn bwysig.
▬ Pourquoi les bons moments ne t'intéressent-ils pas ? Les loisirs, faire quelque chose qu'on aime, passer du temps avec un ami, toutes ces choses apportent du bonheur et de la satisfaction.
▬ Parce qu'ils restent pas. On oublie les bons moments. On finit par les oublier, ils sont banals.
▬ Les mauvais aussi on finit par les oublier.
▬ Les mauvais restent. Ils sont là pour forger ce que tu seras. Les mauvais moments sont la racine du mal. Plus tard, oui tu iras peut-être mieux. Mais les mauvais moments laissent des séquelles. Tu iras mieux, mais tu resteras ce que tu es. Tu seras toujours toi qui a grandi dans les mauvais moments et que les mauvais moments ont fini par tordre. Donc ils restent, quelque part.
▬ Les mauvais moments nous apprennent à surmonter la vie. Et les bons moments aussi nous forgent, à leur façon.
▬ Les bons moments sont éphémères. Ils sont volatiles. Essayer de les apprécier c'est déjà ouvrir ses doigts et les laisser s'enfuir. Et le négatif l'emporte toujours sur le positif, sauf dans les films parce que ce serait trop déprimant. Les humains sont mauvais, les souvenirs le sont aussi. À partir du moment où on le comprend, on fait comme moi. On attend rien. Ni les bons moments ni les mauvais ni les moyens qui nous laissent croire que les choses ne sont pas toutes noires ou toutes blanches.

Séance du 21/08/2012

▬ Je crois que j'ai compris comment l'amour fonctionne.
▬ Je t'écoute.
▬ L'amour existe pas. Y'a que des gens qui cherchent d'autres gens. C'est pas de l'amour, c'est quelque chose de plus subtil. Peut-être de l'affection, ou la peur d'être seul. Et quand deux personnes peuvent pas être ensemble, c'est pas parce qu'elles ont pas assez d'affection ou quoi. C'est parce que leur manière de donner cette affection ne leur correspond pas. Et ils s'attendent tous à trouver une personne ayant le même type d'affection qu'eux, ils croient tous que c'est comme ça que ça fonctionne. Mais ce sont les contraires qui s'attirent. Donc comme tout le monde cherche son reflet, personne trouve. Quelques rares y arrivent, mais presque personne.
▬ C'est une manière intéressant de voir les choses. Un peu fataliste, mais intéressante. Tu sais qu'il y a un livre qui parle de plein de choses, Le Banquet je crois, et qu'à l'intérieur il y a un passage sur les âmes sœurs qui contredit un peu ta manière de penser ? C'est de Platon et il disait, à un moment, qu'à la naissance du monde les humains étaient liés deux par deux par les omoplates. Une homme et une femme étaient liés, une femme et une femme étaient liées et un homme et un homme étaient liés. Mais Dieu se rendit compte que les humains étaient trop compétant et qu'ils s'approchaient de trop près de la perfection. Ils pouvaient tout faire, réfléchissaient par deux, aimaient les mêmes choses, ne s'engueulaient jamais, tu vois le genre ? Dieu décida donc de les séparer en deux. Platon dit que l'âme sœur, c'est de retrouver cette personne à laquelle nous étions liés et qui, donc, se trouve être notre parfait reflet. Qu'est-ce que tu en penses ?
▬ C'est une belle histoire. Mais la société est pas la même aujourd'hui. Les choses changent.
▬ Les choses changent, oui, mais elles se ressembles.
▬ Et puis je parlais pas d'amour. L'amour existe pas. J'y crois pas en tout cas, et je trouve que ceux qui y croient sont vraiment débiles. J'aime rien. Ça fait pas partie de moi. Quand je parle et que je dis « j'aime telle chose », c'est juste pour pas dire que je m'en fout. Pour faire un peu comme tout le monde, j'ai envie de dire. J'aime les mangues ? Pas forcément pas plus que quelque chose d'autre. Quand je dis que j'aime quelque chose, c'est juste pour éviter de dire « je déteste pas ». C'est neutre.
▬ Pour reprendre ton exemple, quand tu dis que tu aimes les mangues, c'est bien parce qu'en manger t'apporter quelque chose, une satisfaction, un... bon moment ?
▬ C'est juste pour dire que je déteste pas en manger. Pas comme les tomates, par exemple. Les tomates, je déteste. Nid wyf yn casáu mangos.
▬ Mais tu ne peux pas que détester les choses !
▬ Si le mot vous plaît pas, parlons d'allergie ou de réflexe. C'est un peu la même chose, mon corps peut pas s'en empêcher.

Séance du 06/09/2012

▬ Et les amis ?
▬ J'ai un rapport particulier avec eux. Avec l'amitié en général. Je sais pas si c'est moi qui choisi pas les bons, ou si c'est tout simplement parce que j'essaie de me forcer à être social pour faire comme tout le monde... Je sais pas. En fait, je suis un peu comme nhabl.
▬ Une table ?
▬ Une table. Une table quoi. Une table, pour trois raisons. La première, parce qu'on peut toujours compter sur une table. Une table, quand tu poses ton verre dessus, à moins qu'une personne extérieur soit maladroite, jamais ton verre se renversera. On peut manger dessus en toute sécurité, elle nous aide à faire nos devoirs, on peut toujours compter sur une table et elle remplira toujours le rôle qu'on lui demande de remplir. La deuxième, parce qu'une table parle pas et bouge pas. Je suis comme ça. J'écoute, je m'impose pas, je m'interpose pas. Si on me demande mon avis, j'y vais par logique et je me sers de faits, comme le ferait sans doute une table si elles pouvaient parler. Et la troisième, et j'ai envie de dire que c'est un peu une blague, parce qu'il faut pas troubler le sommeil d'une table. Une table, quand tu viens la faire chier en pleine nuit, tu peux être certain qu'elle placera une de ses pattes près de ton petit orteil et c'est pareil pour moi. À trois heures du matin, je dors. Et je plains sincèrement la personne qui me réveillera.
▬ Ahah, c'est une façon de voir les choses, oui ! Et pour le sommeil, je suis pareille de toute façon... Mais en fait, les tables font de très bonnes amies ! Ce qu'on attend de l'amitié, c'est une personne sur qui compter et qui sera toujours franche.
▬ Mais une table se fiche d'avoir des amis. Elle a pas de sentiments, c'est une table. Une table, mae hwn yn nhabl. Une table c'est une table, quoi. Rien de compliqué.
▬ Et tes rares amis, donc. Quel genre de rapport ont-ils à ton égard ? Ils t'aiment bien ? Pourquoi reste-t-ils avec toi si tu te dis si inapte aux relations humaines ?
▬ Par habitude. Et peut-être parce que sans moi ils auraient pas d'autres amis. Peut-être parce que peu m'en chaux et que c'est une façon pour eux de ne pas rester seuls. Beaucoup de gens ont peur de ça, la solitude. Comme si elle était effrayante et dangereuse. Je sais pas trop pourquoi ils pensent ça. La solitude, c'est la tranquillité. C'est attendre rien, tout seul, sans que personne d'insupportable vienne nous faire chier.

Séance du 14/09/2012

▬ Tu ne parles jamais de ta mère, Lusso. Pourquoi ?
▬ Parce que je sais rien sur elle et parce qu'elle fait pas partie de ma vie. Je la connais pas. Je peux pas parler d'une personne que je connais pas.
▬ Mais elle a bien existé. Tu ne la connais peut-être pas, mais elle a fait partie et fera toujours partie de ta vie.
▬ J'ai rien à dire sur elle. Vous connaissez Joan Blomvik, qui vit à Glasgow ? Non, et moi non plus. Allez-vous me demander pourquoi je parle jamais d'elle ? Je crois pas. C'est la même chose pour ta mère. C'était une femme, une rousse, elle était écossaise et elle est morte d'un cancer généralisé quand j'avais trois ans. Elle travaillait dans une morgue, entourée de produits chimiques, et la sécurité sur la santé de l'établissement étaient laxistes à mort. Mon père a été dédommagé par la compagnie, il a ramassé un petit paquet de fric à la fin d'un long procès et c'est tout. Donc voilà. C'est tout ce que je sais d'elle, j'ai même pas de souvenir d'elle et de moi et je la connais que par photo. Je peux même pas vous dire le genre de voix qu'elle avait, le genre de parfum. La seule autre chose que je sais vraiment, que mon père m'a dit un jour, c'est qu'on a le même sourire. Un sourire qui sourit pas. Et voilà. Et je suis pas malheureux pour autant, et j'en veux pas à la terre entière pour autant.
▬ Hm... Peut-être quelques traces de carence affective...
▬ Non, je crois pas.

Séance du 01/11/2012

▬ Qu'est-ce que ça te fait d'être détenteur de don ?
▬ Rien, je m'en fiche et j'ai pas envie d'en parler.
▬ Mais...
▬ Rien. Ça me fait rien.