Je fondais littéralement mais j'y pouvais pas grand chose. J'aurais bien entrouvert les premiers boutons de mon chemisier mais ça aurait signifié desserrer ma cravate et ça, c'était juste hors de question. L'uniforme, la crédibilité : c'est le métier qui veut ça, vous comprenez. Ce qui ne m'empêchait pas de me plaindre et mieux encore, à voix haute. Parce que, voyez vous, à ce moment précis, j'aurais tué pour un ventilo.

▬ Béatrice, je tuerais pour un ventilo. Vraiment.

On avait quand même pas la vie facile. Il faut dire que ça, dans le genre boulot de terrain, c'était pénible. Mais vous avez l'air un peu perdu... Que je vous explique : la rouquine se pointe et nous expose son ennui. En l’occurrence, on lui avait dérobé une cargaison de douceurs... Oui bon, d'accord, un gros paquet de bonbons, c'est plus clair là ? Bien. Du coup, la meilleure adresse du bahut en poche -la mienne, évidemment- elle s'était jurée de retrouver et le contenu et l'auteur du larcin. Rien que ça. J'ai ris, je dois l'avouer. Vous me connaissez, un peu spontanée, une fois tous les dix ans... Bref, j'ai malgré tout accepté la requête. Car, vous qui semblez si bien me connaître, vous savez tout de mon credo : je peux vous fournir tout ce dont vous pourriez avoir besoin. Alors certes, ça n'avait pas l'air très sérieux, mais c'était pas comme si je cherchais une occasion de me défiler. On avait donc approfondi les à côté qui comprennent avant tout le paiement, mais aussi les détails du sujet et les pistes précises que sa commanditaire pouvait nous fournir. Et on a revient à la situation de départ, à savoir la planque. Oui, on planquait dans un buisson, non loin de là où la rouquine était « persuadée » d'avoir été dépossédée de son précieux. Enfin, pour ce que j'en savais, ça m'avait tout l'air de marchandise volée, mais j'étais pas assez honnête pour m'en soucier... Et puis, après tout, le client est roi ~

Mais j'ai découvert ce jour précis que même cette formule commerciale avait ses limites. Dans un buisson, sous une chaleur écrasante. Là se trouvait précisément la limite entre la royauté du client et la survie du commerçant. Et je la piétinais sévère, la limite. Ma seule consolation, avec sa chevelure mauve, étouffait ses plaintes en un râle désespéré.

▬ Et puisque toi aussi tu as l'air de pouvoir tuer pour un ventilo, je vais la fermer pour pas te donner des idées.

En guise de réponse, elle a tourné vers moi un regard vide. Pardon, Béatrice, même si toi non plus tu faisais pas ça pour des clopinettes, rien n'aurait valu qu'on ruine à ce point notre maquillage. Je voyais d'ici mon khôl couler dans tes cernes, gravés sous tes yeux par une nuit passée à chercher le sommeil entre deux vagues de chaleur estivale. En dehors de l'été. Le monde tourne plus rond, décidément, y'a plus de saisons... Mais après y avoir regardé de plus près, c'est pas du vide que j'ai vu dans tes yeux, c'est plutôt que tu fixais un point loin derrière mon épaule. Alors j'avais lentement suivit ton regard jusqu'à me retourner... J'aurais pas dû.

Il était avec des potes assis sur un banc, à l'ombre, le veinard. Karlstrom. Ma relation avec lui était plutôt compliquée, alors pour résumer, on va dire que c'était un sacré imbécile dont j'étais sacrément éprise. D'ailleurs, il avait le mauvais goût de sourire, encore, à cet instant précis. Je l'en détestais tant cette contemplation m'écartait de la réalité... Là, tout de suite, je lui aurais bien mis une paire de gifles... et plus si affinité. Mais passons. Passons sur l'évidence-même, à savoir que sa vue avait eu un impact conséquent sur mon humeur, et pas dans le bon sens du terme. Si j'avais tué pour un ventilo, j'aurais sûrement commis un génocide pour avoir l'occasion de lui vider un seau d'eau sur la tête, de l'emmener loin de ces abrutis et de lui payer une glace. Parce que. C'était le genre de choses que je faisais quand je croisais sa route : des trucs idiots et des machins cons, des attitudes dégénérées, dans le genre cri d'appel, mais version camouflage violent. Regarder la réalité en face, je savais faire ; le regarder en face, c'était trop me demander...

Quand ce type était dans les parages, j'avais toujours du mal à passer à autre chose, mais dans la situation présente, un coup de coude de Béatrice suffit à me remettre dans le droit chemin. Je me suis tournée avec mauvaise humeur -une tape amicale aurait été mieux accueillie- mais finalement, l'expression qui eut l'immense honneur de trôner sur ma splendide et perfidement commerciale vitrine de visage fût la satisfaction, mêlée à un léger élan de sadisme car, à n'en point douter, celui qui venait de revenir sur les lieux de son crime n'avait pas idée de ce que j'allais lui faire subir...
A partir de là, je dois l'avouer, j'ai été prise en flagrant délie de pur plaisir personnel : avec toute la théâtralité dû à l’événement, j'ai jailli hors du buisson -manquant la provocation d'un infarctus chez l'infortuné criminel- et clamé haut et fort, comme moi seule savait le faire

▬ Je te tiens, scélérat ! Ce lieu dépourvu d'un intérêt quelconque ne permettra pas l'alibi qui aurait pu t'épargner mon courroux ! … Enfin, je voulais dire : on sait ce que tu as fait, inutile d'essayer de fuir ou je... nous... Béatrice ici présente t'arrêtera !

Oui, pour la seconde fois, j'avais été prise en flagrant délie : celui de la négligence. Risque de confrontation physique et aucun bodygard à portée de main pour servir de bouclier. Inimaginable. Je m'en serais giflée moi-même, mais l'heure n'était pas à l'auto-flagellation. Celui-là, il allait voir ce qu'il allait voir de chez voir comme il avait jamais vu, cette espèce de...

▬ « Adrien Clarke »... Qui t'as obligé à arborer un air aussi niais sur la photo de ta carte étudiante, c'est cruel, franchement. Enfin, peu importe.

Changement de décors. Là, on est dans les sous sols. Par expérience, je peux dire que c'est l'endroit idéal pour faire des trucs et des machins susceptibles de générer une activité audible. Voir même carrément bruyante. Et, pour le commun des pervers que vous représentez, je précise que je ne parle de rien qui ne nécessite que ma culotte vole, merci.
J'avais donc aménagé un endroit reculé du sous sol pour diriger l'interrogatoire, à l'ancienne. Pour ce qui est de la capture du suspect, j'ai passé outre le récit détaillé étant donné qu'il n'a opposé aucune résistance. Alors que, techniquement, s'il avait tenté de se barrer en courant, j'aurais pas pu y faire grand chose. L'essentiel étant que lui ne s'en soit pas rendu compte. Ce qui l'avait conduit tout droit le cul sur cette vieille chaise bancale, à se balancer nerveusement. On aurait presque dit qu'il essayait de coller à mon fantasme de l'interrogatoire à l'ancienne. Alors forcément, devant autant coopération, j'ai pas voulu le décevoir... Ni une ni deux, je lui colle la lampe dans les yeux et je commence à beugler les traditions d'usages, les termes Bibliques, les enjolivements naturels du genre. Tout en poésie. La fine fleur du style.

▬ Alors au cas où tu l'aurais pas encore compris, ici, c'est moi qui pose les questions... Donc tu vas obéir... gentiment. Et tu vas répondre... gentiment. Hein, n'est-ce pas que t'es gentil, Clarke ?

Je me suis alors insérée entre lui et le faisceau lumineux. Effet garantie. Le pied total.

▬ AVOUE QUE TU L'AS FAIT.

Pas de préambule, pas de chichi : on entrait dans le vif du sujet. Il m'a vaguement traversé l'esprit que j'aurais dû commencer par exposer les faits en question mais après tout, c'était lui le criminel, il devait bien savoir. Puis j'attendais de le voir nier avec virulence, juste pour me marrer. J'avais bien l'intention de lui faire cracher le morceau, et ce peu importe par quel trou... Je suis pas difficile, moi, vous voyez. Tout ce qui compte, c'est le travail bien fait. On me paye, j'obtempère. Je suis sage comme fille, quand on y pense.

Là, le visage tout près du sien, l’œil allumé d'une lueur folle, j'attendais plus qu'il se pisse dessus. Définitivement, à l'ombre fraîche des sous-sol, j'aurais pu me dire alors que j'avais pas perdu ma journée...