... tandis que le loup n'y est pas ♪

Commençons par la source de mes problèmes. Ce qui a tout déclenché. Ce qui a fait que je me soit retrouvée ici. Le nombre de pains au chocolat. Prendre le bon nombre de pain au chocolat au petit déjeuner peut s'avérer être une action très complexe. Il faut savoir mêler logique et savoir faire, calcul et esprit. Car un nombre trop élevé de petits pains peut s'avérer être un poids énorme sur la conscience d'une jeune fille adolescente à la ligne durement surveillée telle que moi. Au contraire, un nombre inférieur au besoin journalier en sucre peut provoquer des accidents irrémédiables. Tels que maintenant. Bon sang. Je l'avais prévue, cette balade dans la forêt, alors pourquoi n'avais-je pas augmenté mon petit déjeuner en conséquence ? Je ne suis qu'une idiote. 5 pains au chocolat, ce n'est pas assez. Il en fallait 6. 6, et j'aurais pu continuer d'explorer cette merveilleuse contrée, à l'affut du moindre gargouillis sinistre, du moindre hululement ou craquement effrayant. Ah, quels instants de bonheur aurais-je pu vivre, me roulant dans les feuilles mortes, et attrapant araignées et crapauds en bocal. J'en bavais d'avance. Mais à cause de cette erreur grossière, me voilà clouée au sol.

Je la sentais pourtant bien cette journée. Journée sans nuage, sans pluie et avec soleil. D’une rareté extrême n’est-ce pas ? Dans cette contrée brumeuse et pluvieuse. Et puis je n’avais rien à faire. Il est dimanche après tout. C’était l’occasion rêvée de se balader en forêt. J’avais amené tout mon attirail avec moi. Ombrelle, livre, Gromfy, bocaux, couteau, et origamis en cas d’urgence. Mais j’avais oublié le plus important. A manger. Et comme de coutume, après une petite heure de marche sous le soleil devenant d’un coup cuisant, mon corps m’avait lâché. Mes jambes m’avaient lâché. Ces lâches. Et me voilà, à me trainer près de l’arbre le plus proche, cherchant l’ombre comme le raton laveur attiré par l’odeur de l’argent. Me voilà, sûrement plus livide que d’habitude, me montrant aussi vulnérable que possible. Je détestais ça. La vulnérabilité. Quel vilain mot. Voilà. Je ne pouvais plus bouger. J’étais assise, perdue en plein milieu de la forêt. Je devais attendre. Mais attendre quoi ? Que les fées malignes me donnent leur bénédiction ? Non, il me fallait quelque chose à manger. Quelque chose de doux, sucré, et énergisant. Un peu comme … quelque chose de rouge et chaud et oh ! Quelqu’un. Il me faut quelqu’un. Un peu de sang frais, ce serait parfait. Owii. Parfaitement parfait. Maintenant, allez trouver ça dans une forêt. Maudite ou non, ça risque d’être difficile. Voilà. Il faut donc que j’attende. Tout vient à point à qui sait attendre non ? Ou quelque chose comme ça.

Bien bien . Que faire ? Ecrire une page à Gromfy ? Non. Je n’ai rien à lui dire. Et puis, les évènements d’aujourd’hui sont peu valorisants. Refaire mon vernis à ongles ? Nul besoin, ils sont encore aussi noir que la laque, parfaits. Rien ne cloche sur ma robe de mousseline et de dentelle noire. Mon corset est parfaitement serré. Je suis comme d’habitude. Je sais ! Un peu de lecture, et le temps vous semble plus court n’est-ce pas ? Allez hop. Contes macabres d’Edgar Allan Poe. Même si je l’ai relu des centaines de fois, il n’y a que lui qui me permet d’oublier ce genre de situations désobligeantes.

Tic tac tic tac. C’est le bruit du temps qui passe. Et de ma solitude qui se prolonge. Et de mes paupières qui s’alourdissent. Voilà. Je suis fatiguée. J’ai la tête qui tourne. Je vois des feux follets clignoter devant mes yeux. Ô que j’aimerais les rejoindre. Je ferme les yeux, doucement. Et doucement, je glisse dans mon pays, mon pays de doux et excitant cauchemar, sur lequel je règne depuis tant d’années.

le réveil est toujours difficile

Plic ploc. Le bruit mat du sang sur le parquet sombre de la maison retentit. Je tenais un couteau. Il faisait trop sombre pour voir qui avais-je tué. Mais me connaissant, et connaissant mes cauchemars sur le bout des doigts, il devait s’agir de ma mère. Je tâchais de respirer calmement, et de stopper ce sentiment d’effroi qui montait en moi. C’est moi le monstre ici. C’est moi qui dois faire peur, et pas le contraire. La preuve, l’odeur du sang de ma propre mère me brûla la gorge, et me donna l’envie de lécher le parquet. Charmant. Dommage que quelqu’un ne partageait pas ce cauchemar avec moi, ça aurait été plutôt drôle.

Vaincre ses cauchemars, c’est facile. Même plutôt amusant. Surtout quand on fait partie intégrante de décor.

Je partis d’un pas tranquille hors de la maison. C’était la mienne autrefois. Celle où j’avais passé mon enfance. Exactement la même, mis à part les toiles d’araignées, les chandeliers, les grilles et les gargouilles de fer du jardin. Bon d’accord, elle était différente. Et alors ? Le jardin était vide, malheureusement. Pas une victime à l’horizon. Je rêvais souvent de personnes, visages croisés à Aisling, sombres inconnus, venant dans cette demeure et vivant un horrible cauchemar. En tant que méchant monstre, je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour les effrayer. Mais pas aujourd’hui apparemment.

Puis là, je le vis, juste devant moi, le dos tourné.

Faolan.

Ainsi donc il serait la prochaine victime de mon rêve ? Génial . Je me mis à marcher à pas de loup pour pouvoir le surprendre et lui flanquer un jolie frousse, comme je les aime tant. J’allais le toucher quand ….

-……. Tu pionces n'importe où toi !

Quelqu’un me tirait de mes rêves. A en juger par la voix, et par le fait qu’elle correspondait parfaitement à mon rêve, je pus facilement reconnaître l’irlandais. Qui osait me réveiller. J’aurais bien voulu lui lancer une remarque cinglante au visage, mais j’avais la tête bien trop embrumée, et bien trop douloureuse pour dire quoi que ce soit. La réalité fait mal. Et quand on se lève, on à l’impression d’être toujours plus fatigué. J’ouvre difficilement les yeux, et me retrouve nez à nez avec Faolan. J’ouvre la bouche pour dire quelque chose mais aucun son ne sort. J’ai soif. Je me sens mal. Et j’ai horriblement envie de lui sauter à la gorge. Je dois vraiment avoir l’air mal car il me dit :

- Tu ne te sens pas bien Madame la Vampire ?

Quelle jolie déduction. Je me redresse un petit peu, et essaie de me souvenir de ce qui s’était passé avant que je m’endorme. Tout me revint. J’attendais quelqu’un, il me revenait. Je sautais à son cou, l’enlaçant, l’étouffant dans un calîn dont je ne contrôlais pas trop la force. Le voilà mon sauveur ! C’était lui que j’attendais pour me donner la force de continuer. J’aurais bien aimé lui expliquer ce qu’il se passait, mais je n’en avais pas le temps. Ou plutôt, je n’en avais pas la patience. Comment faire court et en même temps faire en sorte que sa cervelle plutôt limitée comprenne ? Bah, peut être qu’il comprendrait après tout. Il était intelligent. Astucieux. Roublard. Il devait capter les choses rapidement. On pouvait le voir à son sourire espiègle, complotant déjà quelque chose.

-Manque d’énergie. Dis, dis, tu pourrais me tirer de là ? J’ai …

Le mot eu du mal à sortir. Je n’aimais pas l’employer. J’avais juste l’impression qu’il me condamnait une fois de plus à être un monstre. Bah, c’est ce que je suis. Autant jouer le jeu jusqu’au bout . Un faux sourire s’afficha sur mes lèvres.

-J’ai soif. De sang en fait.

Je lâchais un peu mon étreinte pour le regarder dans les yeux, pour voir sa réaction, pour voir si il avait peur où si il était tout simplement blasé.

Une autre question, petite mais importante me vint à l’esprit. Que faisait-il là ? Il n’était pas du genre à faire des choses sans raison. A venir vous voir sans raison. A vous parler sans raison. En fait, il mijotait sûrement quelque chose. Comme toujours. Mais pas contre moi. Impossible. Il avait déjà retenu la leçon. La perspective de l’aider à faire un tour pendable à quelqu’un d’autre me fit sourire. Autant que mon énergie de mollusque me le permettait.