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 The threshold is breaking tonight xxx Luce

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Erez L. Salzmann
The threshold is breaking tonight xxx Luce Rangadulte
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It's a kind of magic.
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The threshold is breaking tonight xxx Luce Vide
MessageSujet: The threshold is breaking tonight xxx Luce   The threshold is breaking tonight xxx Luce Icon_minitimeVen 9 Déc - 18:32

Contenu sexuel explicite dans ce topic.

« Sinners, casting stones at me.
Sinners, pointing fingers at me.
»

The threshold is breaking tonight xxx Luce Erez

    Le robinet mal fermé gouttait dans le lavabo.
    De toute évidence, Erez l’avait mal fermé en rentrant hier soir, épuisé par sa journée. Dans la nuit, le bruit répétitif de la goutte claquant lourdement contre l’émail le réveilla. Au début, il n’y prêta que peu d’attention, encore embrumé par le sommeil. Puis, petit à petit, le bruit l’obséda. Il matérialisa bien vite la perle humide se former tout au bout de la sonde, augmenter de volume jusqu’à être trop lourde pour continuer à défier la gravité, ploc. Ce son. Elle éclata en une centaine de ses semblables et l’opération se réitéra. Erez ferma les yeux mais ce simple bruit furtif fut bientôt pour lui un vacarme assourdissant qui vrillait ses tympans à chaque chute. Pire encore, les images agressaient ses rétines, les brûlant jusqu’à lui en donner la migraine. Ces maudites gouttes, cette eau damnée. Psychose nocturne, démence névrosée. Un frisson remonta le long de la colonne vertébrale du professeur, ses yeux bleus ouverts sur l’obscurité d’où pourtant il distinguait des formes et des couleurs aux teintes criardes, violentant sa vision et son cerveau. Ce n’étaient plus des plocs mais de véritables coups de marteau sur une enclume qu’on lui faisait écouter. Et chaque coup soulevait une nouvelle couleur, toujours plus vive, plus douloureuse.

    Erez sentait ses pulsations résonner dans ses tempes jusque dans sa nuque, il se leva brusquement pour aller fermer le robinet de la salle de bain, plaçant même une serviette dessous et ne plus entendre ce son insupportable. Grognant, le juif s’enquit retourner dans son lit, et à l’exact moment où il allait poser une jambe sur le matelas, il entendit : ploc, ploc. Il se figea, tous les sens en alerte. Ca ne pouvait plus être le robinet, il venait de le fermer ! A bout de patience, Erez se retourna et posa le pied dans un liquide poisseux. Comme un électrochoc, il s’en écarta, dégoûté par le contact de cet être inconnu. Le juif baissa la tête, pliant une jambe sur son autre genou pour essuyer le dessous de son pied du bout de ses doigts. Liquide. Il les porta à son nez, humant la probable odeur qui aurait pu s’en dégager, il tressaillit. Sang. Ploc, ploc. Non mon cœur, ne fais pas ça, non, tais-toi s’il-te-plaît. Les yeux écarquillés, sa vue remonta le long de la traînée sombre et se heurta douloureusement contre une silhouette familière. Erez eut l’impression qu’on lui arrachait la moelle épinière à l’aide d’un crochet à travers un trou minuscule, il plaqua une main contre son visage, couvrant ainsi son œil droit. Il dévisagea d’abord ces hanches étroites qui avaient accueilli son désir aux creux de ses entrailles, ce ventre plat ayant nourri le fruit de leur paroxysme, cette poitrine généreuse qu’il avait maintes fois parcouru du bout des doigts, cette gorge qu’il avait taquinée de ses lèvres mutines, cette bouche qu’il avait violée et outragée de la sienne. Erez s’arrêta au bas de son visage, n’osant lever plus les yeux ou il était certain de perdre le contrôle de lui-même. Mais il ne put s’en empêcher, ses pupilles s’ancrant dans celles de son amour perdu. De Shaniah. Une fois le contact visuel installé, un silence significatif s’installa entre eux. La rousse sourit largement et tendit les bras, appelant son mari à se fondre dans son étreinte, chose qu’il ne fit pas car il restait tétanisé près de son lit. Shaniah tint un long moment la position mais Erez ne bougea pas, le cœur au bord des lèvres, les entrailles tordues par un tiraillement atroce, torturé entre l’envie de l’enlacer violemment et la posséder sur le lit, ou bien de s’emparer du premier objet venu et la défigurer avec et espérer qu’elle disparaisse.
    Shaniah poussa un court cri mais pas moins strident, sa silhouette se figeant dans un soubresaut. A la vitesse d’un train, la peau de l’israélienne noircit et se désagrégea progressivement, des craquelures striant la chair asséchée jusqu’à ce son corps se brise en mille morceaux calcinés.

    Erez se redressa dans une exclamation grave, le drap tomba de son corps humide. Des sueurs froides léchaient sa nuque et ses tempes. Son réveil indiquait huit heures trente-deux du matin, il avait dormi si longtemps ? Un rapide coup d’œil sur la table de nuit lui rappela qu’il avait pris au moins trois fois trop de somnifères la veille, tout à coup son profond sommeil s’expliqua. Râlant, rauque, il se leva en se frottant le visage vers la salle de bain. Tiens, il y avait une serviette dans le lavabo … Il la jeta en travers de la pièce, lavant son visage à grands coups d’eau froide histoire d’avoir les idées plus claires. Avant de se préparer, il préféra passer un coup de fil à la famille accueillant Seth, il le faisait après chaque cauchemar, c’est-à-dire presque tous les jours. Une énième fois rassuré, il consentit enfin à prendre sa douche, les restes de son maquillage disparaissant dans le siphon en sillons gris dilués. Erez tendit la langue sous l’eau, cueillant quelques gouttes qu’il avala mécaniquement. Ses cours ne commençaient pourtant qu’à seize heures, mais il y avait toujours à faire dans la journée. L’épisode douche passée, il passa au brossage intensif des dents, vérifiant ses canines avec minutie, s’il avait besoin de les limer ou non. Visiblement non. Il rasa son bouc, qui repousserait de toute façon, juste pour rafraîchir un peu tout ça.
    Erez peigna sa crinière décolorée, celle-ci couvrant un côté de son crane rasé, il noua un bandana autour de sa tête histoire de garder ses mèches hors de ses yeux, se tâtant à le garder pour la journée ou l’enlever. De ses mains habiles, il ouvrit plusieurs boîtes de maquillage, préparant une mixture de couleur grise et plutôt compacte. La froideur du maquillage ne le fit pas ciller, il étala la crème sur son visage, se construisant un véritable masque. Erez ne craignait pas le regard des autres, il s’en moquait totalement, les raisons étaient purement esthétiques et, peut-être qu’au fond, se façonnait-il un masque pour se cacher de lui-même, de ses yeux assassins.

    Le pinceau retomba dans la coupelle, faisant légèrement tournoyer celle-ci alors qu’il terminait de corriger les imperfections de son apparence. Le juif se dévisagea longuement, il retroussa les lèvres avec satisfaction, caressant une de ses canines de sa langue. Vous avez fait de moi ce que je suis. Il savait parfaitement à qui il s’adressait, à qui ses pensées négatives revenaient, ce miroir ne le reflétait pas. Ou sinon reflétait-il le désespoir silencieux d’une âme aux abois, d’un cœur à l’agonie. Erez se détourna mécaniquement de son image, il sortit de la salle de bain et s’adonna à une lecture des actualités via internet, accompagné d’une tasse de café corsé. En bon maniaque, il se brossa une nouvelle fois les dents après avoir terminé son café, et une nouvelle fois après avoir fumé une cigarette. Son ordinateur émit un faible son, lui signifiant qu’il venait de recevoir un message sur sa boîte. Pas plus intéressé que ça, il le consulta d’un œil vague pendant qu’il enfilait son trench anglais. C’était encore Eliôz qui s’évertuait à le raisonner et le ramener en Israël. Pour information, Eliôz était l’officiel meilleur ami d’Erez bien que le Salzmann ait du mal à qualifier la relation unissant cet homme et lui. De toute manière, il ferma la fenêtre après avoir lu les premiers mots ; insipide tout ça.

    Comme tous les matins, il avait sauté le petit-déjeuner et honorerait Aisling de sa présence seulement pour le repas du midi, disparaissant de la circulation vers vingt-et-une heures pour ne refaire apparition que le lendemain à midi pile. Erez n’était pas un homme aux goûts difficiles, mais les plats contenant beaucoup de sauces ou de jus lui donnaient la nausée ; les aliments ne devaient en aucun cas se toucher. Si le jus des légumes en boîte de conserve venait à toucher la sauce de la viande, c’était la catastrophe et le juif jetait tout, ce qui expliquait, a priori, sa fine taille en passant puisque les cantinières (pas seulement d’Aisling mais aussi de ses anciennes écoles et universités) ne devaient sûrement pas passer leur matinée à vérifier si l’huile des frites ne se mariait pas disgracieusement avec la béchamel du chou-fleur, n’est-il pas ? Bref, le plat du midi était toujours une surprise pour le professeur, une occasion de tester sa chance jusqu’ici pas très brillante. Oh non. Des spaghettis. Les dents d’Erez grincèrent si fortement qu’il se demanda s’il n’allait pas perdre les derniers cheveux qui lui restaient. C’est avec une certaine perplexité et dégoût non caché qu’il scruta la masse informe de pâtes mélangées à la bolognaise douteuse, le tout à peine réchauffé. Du bout de sa fourchette, il piqua sans grande conviction et laissa finalement tomber ; tant pis, il lui restait son yaourt nature 0% yoplait. Pas de sucre, c’était mauvais pour les dents et déjà qu’il fumait et buvait de l’alcool, il n’avait strictement pas envie d’aggraver le risque d’apparition de caries. Erez et sa dentition, c’était toute une histoire d’amour, il en prenait plus que soin. Il débarrassa ensuite son plateau sans un mot ni un regard à qui que ça soit, s’éclipsant dans la bibliothèque d’Aisling pour une bonne partie de l’après-midi, jusqu’à son premier cours à vrai dire.

    Il n’hésitait pas à grogner ou plisser les yeux dès qu’une troupe d’élèves faisait un peu trop de bruit à son goût. Sa seule présence suffisait à figer et glacer l’atmosphère, les nez piquant dans leur livre et les échines se courbant. Erez s’enfonça dans les pièces de la bibliothèque, évitant les racines de la végétation envahissante, il se réfugia dans un recoin sombre où certains livres prenaient la poussière tant ils n’étaient pas consultés et délaissés. Soufflant sur l’un d’eux, il s’en empare, l’ouvrage s’agitant d’un air renfrogné puis plus violent. L’homme gratifia la couverture d’un coup du plat de sa paume, celui-ci se calmant aussitôt et se laissant dompter par les doigts experts du juif qui feuilleta les pages pour passer le temps. Les enfants criminels, un passionnant livre d’anecdotes sur les crimes dont les bourreaux étaient des enfants ou des adolescents. Parfois, une pensée ou un souvenir interrompait sa lecture, furtifs mais intenses, l’emplissant d’une froide indifférence vis-à-vis de ses propres actes. Lorsque que la trotteuse de sa montre se figea une seconde sur quinze heures cinquante, il ferma sèchement le livre et le reposa à son exact emplacement.

    Silencieux, le professeur ramassa ses maigres affaires pour aller s’installer sereinement dans la classe de PAD. Il était de notoriété publique qu’Erez détestait les retards et le manque de discipline (comme de rigueur) chez ses élèves et il ne manquait pas de le faire remarquer, et inutile de lui mentir ou lui sortir une excuse en polystyrène ; il le détectait tout de suite. Assis derrière son bureau, il corrigea chaque élève qui défilait devant ses yeux impassibles, aucune ombre d’un seul sentiment ne fêla son masque flegmatique. D’un mouvement de main, il chassa le dernier élève après lui avoir indiqué ses dernières recommandations, griffonnant quelques notes sur ses fiches et suivre la progression de ses élèves. Erez était, certes, un bon professeur mais il ne s’attendait pas à des miracles, chaque élève était différent et progressait à son rythme, et la réceptivité de certain laissait à désirer …

    Fin de journée, Erez réunit ses feuilles en un seul tas, s’accoudant sur la table, sa joue contre son poing fermé et retirant son bandana d’une autre main, ses mèches retombèrent sur son front, sauvageonnes et voilant ses yeux. Les paupières mi-closes et observant la vague, il entendit quelqu’un rentrer et lâcher négligemment son sac par terre. Erez prit une cigarette entre deux doigts. « Bonsoir. » C’était une voix féminine et agacée à laquelle il ne prit pas la peine de répondre, du moins dans l’immédiat. Elle devait sûrement s’être trompée de salle, c’était même certain. Le zippo échappa une violente flamme, celle-ci consumant le bout de sa cigarette et éclairant son regard de lueurs vicieuse. Refermant le zippo et le déposant sur un coin perpendiculaire à l’angle, il tira d’abord une fois sur sa clope avant d’ouvrir les yeux sur la jeune fille face à lui. Erez souffla la fumée nocive sans bruit, laissant un silence suspendu entre eux, le temps que l’ELEM réalise sa bêtise. De marbre, l’israélien ne cilla pas une seconde, faisant tomber la cendre du bâtonnet dans une petite coupelle en verre.

    « Bonsoir, Mademoiselle Dell’Elce. Je vous trouve bien peu encline à recevoir votre cours de PAD avec Madame Lenoir, me tromperais-je ? » L’accent dur mais à la fois suave, un nouveau nuage de fumée sortant d’entre ses lèvres. Si elle venait à parler, il l’interrompit avant : « Peu importe. Je vais donner mon dernier cours de la journée, fussiez-vous PSY ou PHY. Montrez-moi ce dont vous êtes capable, Mademoiselle, nous avons toute la nuit devant nous. » Retroussant ses lèvres et plissant les yeux, son air prédateur n'incitant pas à la protestation.
    En piste.



Dernière édition par Erez L. Salzmann le Lun 6 Aoû - 21:36, édité 2 fois
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Luce Dell'Elce
The threshold is breaking tonight xxx Luce Rangelem
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The threshold is breaking tonight xxx Luce Vide
MessageSujet: Re: The threshold is breaking tonight xxx Luce   The threshold is breaking tonight xxx Luce Icon_minitimeDim 29 Jan - 6:04


“Now it's getting dark
And the sky looks sticky
More like black treacle than tar
Black treacle”
Arctic Monkeys



Il y a des fois, comme ça, où cette chambre m'oppresse.
Je suis seule assise par terre contre le mur, un bâton de réglisse dans la bouche, et je fixe le lustre simple qui prend du plafond. De sa lumière jaune, ampoule vieillie par le temps, elle éclaire un sol bordélique à souhait, où sont éparpillés vêtements, affaires de cours, crayons, dessins, boules de papier froissé, lambeaux de feuilles blanches déchirées, poussière, rouleaux de réglisses, un rouge à lèvre, des morceaux de cartouches d'encre. Les volets sont fermés et la porte verrouillée, et j'observe cette chambre. Les deux lits sont défaits, les draps de l'un d'eux traînent plus par terre que sur le matelas. Une des armoires est ouverte, dévoilant une penderie de mille couleurs et une étagère sur laquelle les vêtements sont mal pliés, entassés en des piles branlantes.
Je suis seule, assise sur le sol sale, des saletés noirâtres formant de minuscules tas contre les angles avec le mur, et j'observe cette chambre, je l'étudie, tentant de sonder le caractère de ses deux occupantes juste en l'étudiant. Une dessine sûrement, des dessins maladroits, comme ceux des enfants. Mais on ne sait pas si c'est elle aussi qui détruit les cartouches d'encre par angoisse, elle aussi qui déchire des feuilles vierges par désespoir, elle aussi qui laisse traîner des bonbons par inadvertance, elle aussi qui néglige ses cours par désintérêt, elle aussi qui prend soin de son petit visage par coquetterie mais oublie de ranger son maquillage par étourderie. Difficile de mettre des limites entre les deux personnalités qui habitent cette chambre, je n'en suis en tout cas pas capable. Est-ce vraiment par angoisse et désespoir que les cartouches sont détruites et les feuilles déchirées ? Est-ce vraiment par inadvertance que les rouleaux par terre sont jetés ? Je sais bien que non puisque c'est moi.
Je soupire. Si j'ai un jour aimé cette chambre, c'est au temps où un des lits était bordé, le sol dénué de crasse, ma table de nuit exempt de poussière et mon mur dépourvu de graffitis idiots. C'est au temps où je pouvais m'isoler dans un coin pendant le début de la soirée, alors que personne ne venait encore me déranger avant la soirée, sans me sentir au milieu d'un capharnaüm sans nom où je n'ai pas ma place. Et le soir, ma haine gonflait, comme si le coût de me retenir de crever un œil à Stone Blackwood se faisait sentir et qu'il fallait absolument que je me défoule sur quelqu'un. Le soir, ma haine gonflait, ma rage entrait en ébullition, et je pouvais frapper ma victime à souhait, faisant juste attention à ne pas toucher les points vitaux histoire de ne pas avoir de problèmes avec cette saleté de directrice. Je me sentais pas trop mal dans cette chambre, mine de rien, malgré tout.
Mais il y a des fois, comme ce soir, où cette chambre m'oppresse.

Soudain la poignée se tourne et je sens le sol vibrer tandis que quelqu'un tente de pousser la porte et réalise qu'un verrou la maintient au chambranle. Mon regard s’étrécit. Je m'attends à une voix geignarde me demandant d'ouvrir la porte mais le silence reste plat. Très plat. Je retiens ma respiration, ouvrant l'oreille, figée. J'entends un bruit ténu mais je ne saurais dire ce que c'est... jusqu'à ce que j'entende quelque chose s'insérer doucement dans la serrure. Je prends une grande inspiration.
— DÉGAGE OU JE CUISINE TA CERVELLE AVEC CELLE DE CHARLES.
Qui que soit cette pétasse, elle retire son outil métallique de la serrure avec précipitation à la première syllabe que je prononce et j'entends un bruit de course qui s'éloigne rapidement. J'expire. La prochaine fois, je me glisserai doucement jusqu'à la porte et assommerai l'imbécile avec le battant à peine celui-ci poussé. Ou, s'il a de la chance, se prendra un coup sur le nez et saignera de tout son saoul. J'ai horreur des salopes qui tentent de s'introduire dans mes affaires pour mettre le bordel. Surtout quand c'est à la demande d'un abruti encore plus salopard. Je les hais. Je tape ma main gantée pour en retirer la crasse poussiéreuse sur la surface et me lève en titubant, déposant une main sur la tempe. Je saisis ma veste d'une main et introduit l'autre dans une poche intérieure pour retirer une petite boîte en plastique. La veste retombe par terre, la boîte est ouverte dans un petit claquement de plastique, s'ensuit un bruit d'aluminium bruyant sur lequel on appuie, le petit clac du film cédant sous la pression, le son d'un petit bout de plaquette tombant par terre et un troisième claquement quand la boîte en plastique est refermée. J'avale le médicament avec aisance, juste en le plaçant au creux de ma main et en plaquant celle-ci sur ma bouche ouverte tandis que ma tête est balancée en arrière. La boîte est rangée dans sa poche, la veste de nouveau abandonnée au pied du lit sur lequel je m'allonge après avoir éteint la lumière. Dans l'obscurité je ferme les paupières.

Et ce silence, qui emplit l'atmosphère dans toute sa splendeur. Ce silence, lourd et moite et s'immisce dans tes oreilles mais aussi dans tes narines et entre le mince espace de tes lèvres à peine séparées l'une de l'autre. Et l'atmosphère s'accroche à cet air que tu inspires alors, asséchant ces jolies lèvres qui ne connaissent que ta salive pour les humidifier, et celles des autres que tu as embrassé sans amour, juste mépris, et celles que tu as embrassées sans mépris, juste amour. Ces jolies lèvres impures qui ont proféré mille menaces parfois exécutées sans raison, juste folie ; ces jolies lèvres que tu as mordues tant de fois, parfois jusqu'au sang, goût métallique qui te plaît et te fait sentir vivante, « hainante ». Ces jolies lèvres au rose banal, comme ta main au doré commun aux italiens quoique pâle, bien pâle depuis ton dernier départ d'Italie ; alors qu'il suffirait d'avoir été présent aux bons – mauvais – instants pour savoir que cette main a connu le toucher tiède de l'hémoglobine comme tes lèvres en ont connu le goût. Les dernières blessures de guerre sont encore là, fines cicatrices mal recousues par les fibrines.
Et l'atmosphère caresse ton corps, pervers de tes poumons, et se remplit de ce silence lourd que tu hais, ce silence noir auquel tu préfères le bruit blanc, désagréable pourtant pour le commun des humains que tu hais comme ce silence. Ce silence qui met en évidence ce que les sens ont pris de dehors pour t'avoir en dedans. Ce que tes yeux ont vu – ce que l'un d'eux n'a rien pris – ce que tes mains ont senti – ce que l'une d'elle a souffert – ce que ta bouche a goûté – ce que ta gorge a recraché – ce que ton nez a inspiré – ce poison expiré – ce que tes oreilles ont entendu – toute ta vie. Cet air, ce venin ; ce silence, ce malin ; qui te rappellent ton mal, qui te rappellent ta haine.
Et tu hais ce silence qui t'empêche de dormir.

Je fais claquer mes mains de chaque côté de ma tête en forçant sur mes paupières, marmonnant une insulte en italien. Le coup double résonne dans ma tête, me sonnant quelque peu et stoppant net ce raffut dans ma tête. Je me lève et traîne des pattes volontairement jusqu'au store, repoussant tous les objets qui auraient tenté de s'enfoncer dans la plante de mes pieds. Au fur et à mesure que le store se lève, la lumière du jour s'immisce dans la chambre. J'observe le ciel couvert, un peu sombre car annonçant la fin de la journée, puis l'herbe courte extérieur encore recouverte de neige il n'y a pas si longtemps. Mon visage est inexpressif, ce visage que j'ai appris à moduler comme il me semble afin qu'il exprime ce que je souhaite et rien de plus. Une partie de moi aurait souhaité continuer cet apprentissage auquel j'ai mis fin... Cet apprentissage qui, même s'il faisait de moi une personne affreuse, m'apprenait à garder mon sang-froid et à contrôler mon corps jusqu'à dans les prunelles de mes yeux, fenêtres de l'âme dont j'aurais appris à contrôler les rideaux, changeant leur épaisseur et leur couleur... Je serre les dents tandis que je sais que, même s'il n'a jamais été loin, même s'il m'a toujours hantée, mon passé me rattrape. Mon passée me rattrape alors que s'ouvre une perspective d'avenir. Et je. Déteste ça. Ma main gauche, gantée comme toujours, se serre en un poing ferme qui a en blessé plus d'un. Je me détourne de la fenêtre et va vers ma table de nuit pour saisir mon casque et mon baladeur de musique. Je monte le son légèrement au-dessus du nécessaire dans une pièce silencieuse, justement pour masquer ce silence qui continue de peser malgré mon calme. La migraine me poursuit depuis ce matin mais les cachets que je prends à intervalles réguliers la maintiennent à un niveau modéré. J'accroche le baladeur au bord de ma jupe grâce à son clip , j'enfile ma veste et je saisis négligemment mon sac à dos pour le mettre sur une épaule. J'aurais fini les cours assez tôt aujourd'hui, à quinze heures trente, si je n'avais pas eu ce rattrapage de travaux pratique de PAD à dix-huit heures.

Quelle salope, cette prof, d'avoir foutu cette saleté de cours individuel à cet horaire... Comme si je n'avais que ça à faire dans ma vie ! On ne dirait pas, mais je suis sérieuse et studieuse. J'écoute en cours, je fais mes devoirs et passe des soirées entières le nez dans des bouquins de chimie et d'anatomie humaine – entre autres – dénichés dans la bibliothèque principale – en général. J'étudie au maximum l'histoire de l'Europe et ai enfin réussi à apprivoiser une souris et un clavier, écrivant toutefois à une lenteur désespérante encore comparé à une grosse majorité des élèves d'Aisling – on sent les geeks habitués à passer leur temps derrière des écrans à se balader sur le web comme s'ils n'avaient rien d'autre à foutre, c'est bien à eux qu'on devrait mettre des cours du soir. Mais non, il faut que cette mégère d'Estelle Lenoir – une française amoureuse du vin me rappelant une ou deux enseignantes d'Aurore que j'exécrais particulièrement – cale des horaires chiants au possible, prévenant au dernier moment du changement de jour, pour le plaisir. N'ayant par ailleurs pas énormément de contacts avec les ELEM de mon niveau, je suis souvent la dernière au courant... J'irai lui dire deux mots à cette prof. Je viendrai, toute polie, lui offrir un café – l'ayant entendu le critiquer acidement dans un couloir – et parlerai de toutes ces choses qu'elle ne supporte pas, bourgeoise capricieuse dépendante de la belle boisson connue cultivée notamment dans une région au sud-ouest de la France. Je vois déjà comment la rabaisser avant de critiquer ses cours qui ne valent rien – comment avance-t-on quand la seule chose qu'on entend n'est autre que « Vous êtes misérablement incompétent dans la maîtrise de votre don. » reformulé de toutes les façons classieuses qui soient ? Je sors du bâtiment des dortoirs et traverse la cours d'un pas décidé, déterminé à lui pourrir sa soirée. Elle sera de tellement mauvaise humeur qu'elle boira encore plus de sa boisson alcoolisée. J'aimerais bien la voir vomir, tiens... Ce serait tellement humiliant pour une personne de sa hauteur... Mais elle doit plutôt bien tenir à l'alcool. Je croise des élèves sans leur adresser la parole, n'envoyant qu'un ou deux regards assassins en réponse aux « Lucette » qui atteignent mes oreilles susceptibles, et j'arrive dans le bâtiment principal. Soupir. Purée, ce que j'aimerais m'enfermer dans la bibliothèque et parcourir les rayons sciences du corps humain. Passer ma main sur un énième livre de l'anatomie ou un ouvrage traitant d'exemples de cas de malades mentaux. Au lieu de cela, rentrer dans ce bâtiment et m'arrêter au deuxième étage. Je regarde l'heure sur une horloge. Dix-huit heures cinq. Allez, hop, cinq minutes de retard dans ta gueule. Ça t'apprendra, sale mégère. Me voilà derrière la porte, que j'ouvre aussitôt sans frapper avant de la refermer vivement, ralentissant mon geste au dernier instant pour ne pas la claquer. Je jette mon sac non loin de là contre le mur, je n'en aurai pas besoin, sortant un « Bonsoir. » sec et agacé sans même daigner la regarder. Je ne retire même pas ma veste, bien décidée à lui montrer à tel point sa tête me donne juste envie de me casser de là en vitesse, de préférence en la laissant rageuse. Elle ne vaut rien à mes yeux. Les enseignants ne sont là que pour combler le manque profond de culture que j'avais en arrivant ici. En même temps, je suis restée presque trois ans loin de la société. Trois ans à vivre comme un électron libre, apprenant à me servir de mon corps et ma tête dans un seul but : combattre et ne pas être battue. La règle : gagner ou mourir. J'ai appris à courir vite pendant des heures, j'ai appris à grimper haut sur des murs verticaux, j'ai appris à me cacher dans l'ombre et couper ma respiration en un souffle imperceptible, j'ai appris à frapper fort là où ça fait mal, j'ai appris à nettoyer toute trace de passage quel qu'il soit, j'ai appris l'auto-suggestion pour mieux mentir, j'ai appris à ne faire confiance à personne, pas même à un mentor. J'ai appris des tas de choses utiles dans la rue, j'ai appris des tas de choses utiles pour ne jamais me laisser abattre. J'ai appris à haïr comme je n'avais jamais haï. Tandis que j'apprenais à voler sur les toits, j'apprenais aussi à voler la vie.
Et cela ne sert à rien ici.
Rectification. Cela sert. À apprendre à certains qu'il ne faut pas me chercher. J'ai cassé quelques nez, j'ai mis K.O. quelques camarades. Le dernier en date s'en souvient encore et me poursuit sans cesse, comme s'il n'avait pas compris.
Cependant, j'ai l'impression d'être totalement inactive à Aisling. De me prélasser et me graisser avec la mauvaise nourriture de la cantine de laquelle je me contente parfaitement, n'ayant pas connu mieux dans la rue. J'ai l'impression de perdre mon temps et mes acquis. Alors je continue de travailler seul mon corps, tant pis pour le mentor. Je continue les exercices et en apprivoise des nouveaux, munies de mes rollers. Je ne compte pas les heures à travailler mon corps le week-end et même le matin avant les cours.

Tout cela me sera inutile ce soir.

Car je viens d'entendre un bruit absolument étranger d'un zippo qu'on actionne. Je lève les les yeux vers cette pétasse de Lenoir... Pour observer une personne au physique diamétralement opposé. Je m'immobilise tandis que se fige mon expression méprisante. Assis derrière le bureau ne se trouve pas une femme couverte de fond-teint et au rouge-à-lèvre fourni mais à un homme au physique pour le moins atypique, à commencer par une longue crinière décolorée qui lui tombe partiellement sur le visage, mais pas suffisamment pour cacher ses paupières closes. Il dépose d'un geste souple son zippo sur un des coins de son bureau. Même d'ici, on pourrait parier qu'il l'a posé exactement sur la médiane de l'angle du meuble. J'observe son large anneau déformant le lobe de son oreille gauche, ses piercings sur son visage atypique à la peau mate comme le plâtre, quelque peu grisée par la pénombre qui s'installe déjà dans la pièce en vue du crépuscule qui approche à grand pas. Il inspire une fois sur la cigarette qui laisse échapper une légère fumée à son extrémité, secouée par une autre plus épaisse lorsque l'homme souffle un nuage gris, seul son dans la pièce.
Soudain il ouvre les yeux.
Et me voilà frappée par son regard métallique, happée comme un chiot en face d'un loup qui n'a nul besoin de retrousser les babines pour menacer, son regard suffisant à lui seul à attraper sa victime, sa proie. L'image provoque un frisson froid dans ma colonne que je peine à réprimer tandis que se noie dans mon esprit la grande question existentielle du moment.
Qui. Est. Cet homme ? Et que fait-il ici, en lieu et place de madame Lenoir que je m'attendais à trouver ce soir... Me serais-je trompée d'horaire ? De jour ? À tous les coups, elle a encore déplacé le cours et je ne suis pas au courant... Et je me sens ridicule, face à cet homme dont j'ignore l'identité. J'ai envie de m'excuser vite fait et de quitter cette pièce sans un mot de plus. Casse-toi, me dit ma conscience. Tu n'as rien à faire ici, casse-toi, pas la peine de te ridiculiser davantage. Mais je suis figée, comme tétanisée, comme cela arrive lorsque quelque chose, en plus de vous prendre par surprise, vous retient et vous empêche d'agir. Cela ne dure que quelques instants, mais ils sont décisifs. Car l'homme, qui me retient toujours du regard, a déjà le temps de parler.
— Bonsoir, Mademoiselle Dell’Elce. Je vous trouve bien peu encline à recevoir votre cours de PAD avec Madame Lenoir, me tromperais-je ?
Pas anglais. Accent bien trop prononcé, je ne suis même pas sûre qu'il parle une langue latine. Mais ce qui m'étonne le plus est bien évidemment le fait qu'il m'ait reconnue aussitôt alors que j'ignore qui...
Et ça me frappe d'un seul coup.
Mais bien sûr.
Et des souvenirs me reviennent, des paroles de quelques SPE commentant leur professeur de PAD. Quelqu'un de bizarre, de dur. Quelquefois des compliments, comme quoi c'est un bon professeur, quoiqu'un peu rebutant au premier abord. Un peu ? J'en connais qui auraient tremblé comme une feuille, bredouillé comme des bègues, voire perdu leur voix comme des muets – notamment les petits jeunots. Je pense au petit Mist, croisé au détour d'un couloir alors qu'il se faisait remettre en place par un certain grand blond qui, la cigarette au coin des lèvres, lui sonnait de ne pas pleurnicher comme un gosse. Le sourire qui souhaite étirer le coin de mes lèvres de deux petits millimètres n'a pas le temps d'apparaître que déjà le professeur reprend la parole, me tenant toujours du regard.
— Peu importe. Je vais donner mon dernier cours de la journée, fussiez-vous PSY ou PHY. Montrez-moi ce dont vous êtes capable, Mademoiselle, nous avons toute la nuit devant nous.
Et je cligne des yeux, quelque peu étonnée, alors qu'il dévoile des canines bien pointues, le regard plissé, me rappelant encore une fois le loup, farouche prédateur appréciant déjà à l'avance le goût de sa proie entre ses dents. Car il n'y a pas de place au doute. Monsieur me tient. La porte n'est pas verrouillée, elle aurait aussi bien pu l'être et les fenêtres condamnées par des barreaux. Il me tient et je ne peux fuir son regard métallique à peine masqué par la fumée qui s'épand lentement devant lui pendant qu'il fume lentement sa cigarette.
Nous avons toute la nuit devant nous... Effrayant.

Sauf que je ne suis pas sa proie. Je ne suis pas un minable petit élan se promenant dans les bois, je ne suis pas un pauvre chiot perdu dans la forêt, encore moins un petit lapin ayant perdu son terrier. Certes, je n'ai pas de dents aiguisées et une de mes mains – la gauche – est totalement incapable de griffer, emprisonnée dans un gant noir en tissu fin et souple afin de permettre chacun de mes doigts de se mouvoir et chacune de mes articulations de craquer sans rencontrer la moindre résistance. Je ne mesure qu'un misérable mètre quarante-sept, la taille d'une gosse de douze ans et demi ou d'un gamin encore plus jeune, et ne pèse guère lourd malgré ma musculature finement sculptée. Je n'ai rien d'imposant, rien d'effrayant, handicapée de naissance car borgne de l'œil droit. En somme, je pourrais bien être l'exact opposée de cet homme.
Cependant, à son plissement d'yeux, je réponds de même. J’étrécis mon regard et dresse à peine le menton, juste assez pour que ça se voit, juste assez pour qu'il comprenne qu'il ne m'intimide pas plus que ça. La première impression passée, la curiosité s'installe. Il cultive une apparence effrayante mais qu'en est-il ?
D'un geste nonchalant, je glisse ma main vers ma hanche et soulève légèrement ma veste pour atteindre le baladeur de musique toujours accroché à l'élastique de ma jupe. Je le retire et l'éteins rapidement avant de retirer mon casque et de déposer le tout sur mon sac, tranquille. Je tends toutefois mes oreilles, me concentrant sur le souffle du professeur et sa cigarette dont l'odeur commence tout juste à arriver à mes narines, la pièce étant assez petite. Le moindre bruit est pour moi un soulagement dans ce silence lourd, seul détail me dérangeant véritablement à cet instant. Je préfère le briser.
— J'imagine que vous n'apprendriez rien si je vous nommais mon don.
Et comme j'ai pu m'amuser avec.
Et comme je vais m'amuser avec.
Mais je vais commencer simple. Extrêmement basique. La première chose que j'ai su faire, la première manifestation-même de mon don. Et je fouille la poche de ma veste pour sortir une petite cartouche tout en mettant face à lui, debout bien appuyée sur mes pieds. Je la fais tourner entre mes doigts avant de rediriger mon regard vers lui et attraper son regard de mon unique œil, ce regard qui me retient alors comme un crochet. Un sourire assuré, seul signe avant de jeter soudainement la cartouche d'un geste vif vers son visage avec la ferme intention de la faire exploser sur son maquillage. La cartouche emprunte une trajectoire presque droite jusqu'au professeur. Je sais parfaitement, à le voir ainsi, qu'il rattrapera la cartouche au vol. Je dirais même que le contraire m'étonnerait.
Mais la cartouche explosera quand même.



“One of those games
You're gonna lose
But you wanna play it
Just in case”
Arctic Monkeys


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MessageSujet: Re: The threshold is breaking tonight xxx Luce   The threshold is breaking tonight xxx Luce Icon_minitimeLun 9 Juil - 14:40

    Le goût âcre au fond de sa gorge ne le dérangeait pas. Il y avait longtemps que cette saveur n’était même plus perçue par son corps habitué aux substances illicites et nocives. Il avait commencé à fumer en Russie, juste après avoir éclaté le nez d’un huitième année et ramassé ce que contenaient ses poches en guise de trophées. Un briquet jetable et des Lucky Strike. Il se souvenait avoir allumé une clope sous le nez de l’homme pendant qu’il était encore à terre. La sensation jouissive de la fumée dans sa bouche pendant que son ennemi léchait le sol. Son pied était même allé appuyer la semelle de ses Doc Martens contre la colonne vertébrale du slave, pour sentir ses muscles vibrer de haine et de défaite. Il se souvint avoir souri et laissé tomber de la cendre dans la nuque du perdant et s’être délecté de son cri de souffrance, en continuant de lui labourer le dos avec son pied. Tsekhov était encore à l’infirmerie à ce moment, il l’avait vidé de son sang après qu’une soif incurable eut raison de sa patience et de sa morale bancale. Un surveillant avait finalement eu pitié de sa malheureuse victime et l’en avait écarté. Erez s’en était retourné à des occupations plus amusantes, comme continuer à sa forger une sale réputation au sein de cette école de barbares. Ces souvenirs ne lui tiraient aucune émotion sinon de la satisfaction malsaine. Ils avaient de lui ce qu’il était aujourd’hui. Il avait fait de lui ce qu’il voulait à présent.

    Ainsi plongé dans ses pensées, il garda une partie de son esprit concentré sur Luce. L’italienne fut, aux premiers abords, impressionnée. Il ne se laissa pas berner par cette première approche faciale. Tout le monde était surpris par son apparence durant les premières secondes. Il savait d’ores et déjà qu’elle reprendrait très vite sa hargne en main pour lui afficher un air de pitbull enragé. Mais il conserva dans un coin de sa tête, l’image de son expression décomposée. Dans quelques temps, il viendrait rechercher ce cliché, la sensation intense du plaisir à lire l’horreur, comme pour la première fois. Erez sentit une caresse invisible sur son échine, faisant ronronner son cœur. S’il avait dû exprimer les sentiments qui le traversaient, peut-être qu’un sourire cruel aurait fissuré le masque de glace apposé sur ses traits. La cigarette se consumait. Il accéléra le processus en tirant une nouvelle fois dessus, dévisageant l’intruse de deux yeux pourfendeurs. La jeune fille adopta, finalement, le faciès auquel il s’attendait : une gamine arrogante, hautaine, imbue d’elle-même. Erez ne soupira même pas, il fit tomber la cendre, écartant une mèche rebelle de son visage du pouce.

    Une froide curiosité s’anima en lui. Qu’est-ce que cette gamine allait lui apporter ? Il espérait que Luce serait à la hauteur de ses attentes, car plus les minutes passeraient, plus elles seraient exigeantes. Malgré la présence de la jeune fille, il leva les yeux vers le cadran. Si la nuit ne suffisait pas, la matinée serait aussi utile. Outre de la satisfaction professorale, il souhaitait assouvir ses propres pulsions. Ces envies réprimées depuis qu’il s’était réveillé en sueurs le matin-même, non, même lorsqu’il rêvait de son amour perdu se consumant dans un atroce brasier noir et empestant la chair cramée. Il désirait la chaleur, il désirait le sang, les larmes, lu désespoir, la folie, un corps dans laquelle il se serait débarrassé de toute cette accumulation de frustration aussi bien sexuelle que psychologique. S’il s’était laissé aller, peut-être qu’un discret relief se serait manifesté sous son pantalon ; ses pupilles assassines caressant les courbes juvéniles de l’adolescente avec indifférence. L’israélien était certain de sentir ses os sous ses paumes s’il s’était attenté à des caresses sur sa peau nue, de pouvoir faire le tour de sa taille avec ses doigts, ou de sa gorge … Cette pensée l’emplit d’une bouffée d’excitation, ses épaules se raidirent dans un discret frémissement, il plissa ses paupières derrière quelques mèches décolorées. Pendant une fraction de seconde, il s’était imaginé se lever, happer le cou de l’italienne dans sa main arachnéenne, et la coincer sur le bord de son bureau pour l’étrangler avec la plus grande douceur.

    Insolente. Il aimait bien l’arrogance, cela le faisait encore plus jouir lorsque ses victimes perdaient leur attitude hautaine, qu’il les ramenait plus bas que terre, leur faisait lécher le sol, les supplier. Il entrevoyait son pied cueillir le dos de Luce. Comme ce huitième année. Et comme les autres après lui. Et comme tous les autres après elle. Erez la regarda faire sans répondre ; il n’avait pas besoin de s’exprimer pour faire peser sa présence dans l’enceinte de la pièce, sa seule aura suffisait à cela. Le juif se redressa lentement contre le dossier de sa chaise, l’iris clair de ses orbes, perçants, luisant entre ses yeux mi-clos par l’analyse. L’élève se préparait à un affront direct. Erez ne s’attendait pas à quelque chose d’autre de toute façon. Dell’Elce ne savait répondre que par l’outrage pour se sentir vivre. Peut-être regretterait-elle son geste par la suite, quelques heures, voire quelques minutes plus tard.

    Il arrivait aux professeurs de PAD de discuter entre eux, et il savait effectivement que le pouvoir de Luce était l’encre. Don qu’il avait eu l’occasion de tester des centaines de fois auparavant depuis son adolescence. Il se souvenait que, la première qu’il y avait été confronté, c’était en plein examen et son stylo encre avait explosé avec une telle violence que toute sa copie en avait été tapissée, à seulement dix ans. Chaque découverte de don avait été assez fortuite et catastrophique pour lui. Il tenait un carnet de bord depuis qu’il était petit où il recensait tous les pouvoirs, la date de chaque utilisation, l’avancement dans sa conquête. En ce qui concernait l’encre, il en était arrivé, à raison d’environ six utilisations (seulement deux quand il avait 10 ans, huit à dix à presque trente ans, douze en forçant, cela dépendait de la puissance du don) du Gambling par jour et de plus de trois cent cinquante dons, il était arrivé à quatre-vingt-dix-sept utilisations. Ce n’était pas le pouvoir qu’il maîtrisait le plus, donc il ne pouvait en générer à partir de rien, mais il parvenait à faire exploser ses contenants et, au contraire, la rassembler et le contenir. Des bases avancées en somme. Posséder le Gambling obligeait une discipline de fer et un entraînement de tous les jours, une extrême minutie dans la progression, on devait être capable de ne pas perdre les progrès acquis, en sachant que la dernière fois pouvait remonter à des mois, voire des années. Une colossale santé physique, de même, car contrairement à la copie des dons, le Gambling possédait déjà, à la base, tous les pouvoirs existants dans son ADN. Erez traînait une fatigue permanente avec lui, et il se savait porteur d’un pouvoir aussi dévastateur qu’instable. Ses traitements ne soignaient pas que sa folie. Il n’obtenait aucun repos, ce pouvoir maudit nécessitait une surveillance permanente à chaque utilisation. Il se souvenait encore du maelström qu’il avait déclenché durant son service militaire, horreur.

    Peut-être, qu’au fond, c’était son pouvoir qui l’avait rendu fou.

    Un éclat vif fit luire ses yeux, une cartouche fut lancée vers lui. Ce sourire. Tu le perdras bien vite. Presque calmement, il leva sa main libre devant Luce et la rattrapa sans un bruit. Ses doigts se refermèrent dessus avec violence, dans un craquement de phalanges sinistre. Un tressaillement secoua sa main, la cartouche avait explosé dans sa paume serrée sans que cela ne le fasse sourciller. De l’encre jaillit, dans des effusions semblables à des éclaboussures de sang, d’entre ses doigts et ruissela le long de son bras tendu à la verticale. Le professeur n’avait pas bougé, il avait la tête légèrement baissée et tira une dernière fois sur sa cigarette, son poing ne cessant de serrer la cartouche en miettes, sans regarder Luce. Ploc, ploc. Comme cette nuit. Ses instincts prédateurs lui dévoraient la poitrine dans des rugissements affamés.

    Sans détendre son bras, le dos de sa main face à l’italienne, l’encre noire avait formé des sillons morbides le long de sa peau, soulignant presque avec délicatesse les veines battantes sous sa peau grise. Des gouttes perlèrent à son coude, puis tombèrent sur le bureau si propre. Erez ne semblait même pas agacé, à vrai dire il n’avait pas changé d’expression. Sèchement, il écrasa sa cigarette dans le cendrier, toujours sans daigner poser un œil sur l’élève. Un silence tendu, nerveux, presque électrique.

    « Je crois que nous nous sommes mal compris, Miss Dell’Elce, articula lentement le juif alors qu’il abandonnait sa clope pour descendre sa main vers les tiroirs de son bureau, en caressant la poignée métallique avant de tirer le premier, sa main plongeant dans les entrailles pour s’emparer de deux bouteilles d’encre en plastique. Il était toujours empreint de cette sérénité désarmante, et il reprit : Je n’ai cure de vos prestations primitives impressionnant sans doute le peu d’amis que vous possédez et satisfaisant votre égo surdimensionné manquant par ailleurs cruellement d’ambition et de discipline, acheva t-il d’un ton cinglant. Il ouvrit complètement les yeux, dévoilant son regard cruel et dénué d’humanité, sa main souillée s’ouvrit et s’abattit brusquement contre le plat du bureau dans des giclures sombres tandis que de l’autre, il lança la première puis, quelques millièmes de seconde ensuite, la seconde bouteille sur l’élève. Il avait légèrement soulevé le bouchon de chaque de façon à ce que leur contenu repeigne généreusement l’insolente. Si la jeune fille pouvait éviter la première, la seconde était bien là pour heurter sa poitrine inexistante et l’asperger sans égoïsme du bas du visage jusqu’à ses hanches, sans parler des gouttelettes ayant probablement arrosé ses chaussures et son jean.

    Erez étira ses lèvres dans un rictus glacial, sans même d’ironie visible, il avait l’air d’un serpent humant sa proie par la bouche, ses crochets découverts, dévisageant Luce. Sa main gauche le picotait, les débris de la cartouche s’étaient sûrement enfoncés dans sa paume, et pourtant il augmenta la pression qu’il exerçait contre le bois de la table, prenant plaisir à sentir les micro-déchirures se ficher dans son épiderme. Sans pitié, il contempla l’élève de sa place, totalement posé. Pourtant, ses paroles étaient du venin qu’il faisait rouler avec délice sur sa langue percée.

    « Vous êtes faible, Dell’Elce, commença t-il avec l’impassibilité qui lui était coutumière, impulsive, hargneuse de prouver au monde que vous existez, aboyant votre haine comme un chiot abandonné. Comme lorsque vous avez cassé le nez à ce jeune homme. Vous êtes seule, haineuse du monde qui vous entoure, possédant une fierté hors normes mais que vous abandonnez bien vite lorsque la petite fille que vous êtes pleure secrètement sa misérable condition ou lorsque vous cachez votre main dans ce gant. Oui, vous êtes misérable, Dell’Elce. »

    Acide, il retroussa un peu plus ses babines alors qu’il approcha sa main salie de son visage, admirant l’encre s’écouler encore de sa peau, retracer les lignes de vie, rouler entre chaque doigt, tâcher son alliance. Prononcer de telles paroles ne semblaient pas le déranger outre mesure, il aimait heurter, choquer, blesser, il aimait enfoncer ses ongles là où cela faisait le plus souffrir. Même avec ses élèves.

    Gracile, il se leva dans un mouvement souple. Le professeur affichait une silhouette maigre, son haut en V dévoilait ses clavicules saillantes et percées, il tint sa colonne droite et avança lentement vers la jeune fille. Ses doigts meurtriers caressèrent sa propre gorge, laissant quatre sillons noirs sur le tatouage de trachée, telles des griffures. Il ne lâchait pas Luce des yeux, la dominant de toute sa stature. Je pourrais bien faire pareil sur ton cou de cygne, petite fille. Ne me provoque pas. Ne me tente pas. Ne me sous-estime pas.
    Tu n’aimerais pas me sentir au fond de toi, profaner tes entrailles et torturer tes reins.
    Une menace, un avertissement. Regarde bien ces traces, car elles pourraient bien s’imprimer sur ta peau d’enfant.

    Il s’arrête tout à fait devant elle, bien forcé de baisser les pupilles pour la regarder, mais toujours aussi droit, les mains le long du corps.

    « Cela m’est complètement égal de voir ce que vous savez faire, je le sais déjà. Vous pouvez garder votre zèle et votre orgueil pour vos autres professeurs. Vous êtes ici pour suer sang et larmes et dépasser vos limites. Mais si vous préférez converser de cela avec Madame Lenoir, avec qui vous entendrez parfaitement votre susceptibilité puérile, vous pouvez sortir tout de suite et progressez dans votre médiocrité. »

    Empoisonné. D’un mouvement de tête, il indiqua la porte, mais sans changer de place. Mais il savait qu’elle ne sortirait pas, comme elle ne reculerait pas devant lui, pas encore. Elle resterait, et elle tomberait.

    Sous les yeux de la bête, Luce se voyait entrer dans un terrible engrenage, et Erez ne ferait rien pour l’en sortir. Il la voulait.

    Rampe pour moi. Crie pour moi. Pleure pour moi. Saigne pour moi.
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MessageSujet: Re: The threshold is breaking tonight xxx Luce   The threshold is breaking tonight xxx Luce Icon_minitimeMar 7 Aoû - 1:29

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La cartouche file à tout vitesse, le bras se dresse plus vivement encore et une main se referme sûrement dessus. L'avant-bras se dresse à la verticale tandis que le poing étouffe le son du plastique qui explose contre la peau. Explosion ou implosion, difficile de le dire, finalement. Je dirais que c'est une explosion devenue implosion. L'encre a effectué sa pression contre les parois intérieures vers l'extérieur. Puis, une fois brisés, la plupart des morceaux ont violemment rencontré la résistance de la paume et ont pris une direction opposée. Si quelques morceaux se sont plantés dans la paume, que Dieu me pardonne, ce n'était pas ma volonté.
Pas ma première, dirais-je.
L'encre s'échappe des espaces entre les doigts, trop minces pour l'œil mais largement suffisant pour le fluide bleu sombre qui s'écoule sur la main. Image agréable pour mon iris. Une main ainsi si forte, dont je note par ailleurs la lueur de l'alliance, ne peut retenir le fluide parcourir le poignet et l'avant-bras jusqu'au coude, laissant une marque sombre certaine derrière ce liquide qui coule toujours, formant des sillons semblables à des veines saillant sous une peau grise qui serait alors transparente. Arrivé à l'angle du bras, l'encre ne peut suivre le mouvement, attiré par la gravité. Alors il n'a d'autre choix que de se décrocher de l'épiderme pour s'écraser sur le bois du bureau dans de sinistres ploc. Tout comme mes yeux apprécient le sillon que forme le liquide sombre, mes oreilles se délectent du son de mon élément. Jouant encore avec la pression, je pourrais percer cette peau si solide, coupures sans lame, brûlures sans flamme. J'y pense, j'esquisse un furtif sourire, prouvant à l'occasion que l'ambiance lugubre de la pièce ne me dérange guère. Le professeur Salzmann m'a impressionnée lors du premier coup d'œil. Mais ce n'était, justement, qu'une première impression. Il voudrait que je ploie à son imposante présence. Que je me ratatine comme un petit chiot battu. Qu'il rêve.

Ses pupilles succèdent l'ignorance tout en puissante et le regard dur et imparable. Son corps est immobile la plupart du temps, mais pas figé pour autant. Alors que je reprenais contenance et dressais le menton, rien sur le visage ni dans le regard du professeur ne me répondait. Seulement un presque imperceptible mouvement du corps, que j'aurais aisément pu manquer dans la pénombre si je ne l'avais pas fixé attentivement à cet instant précis. Plus tard, lorsque je sortis ma cartouche et levai les yeux vers lui après avoir tourné le petit jouet entre mes doigts, il me sembla le voir se redresser légèrement, comme s'il n'était pas assez imposant dans sa stature. Je savais que la cartouche se retrouverait prisonnière dans une main refermée sur elle dans un bruit sinistre de craquement. Il n'a, semble-t-il, pas les articulations aussi fluides que les miennes. Faire craquer les jointures en serrant simplement le poing ? Je ne le fais pas. Les genoux, les hanches, les coudes ? Ils ne craquent pas. Lier mes doigts et les tirer vers l'arrière en tendant les paumes ? Un craquement tellement faible qu'il en est inaudible. Absolument nul son effrayant pour un corps nullement imposant.
Je m'en viens à me demander pourquoi je me fais ce genre de réflexion. Peut-être car je souhaiterais, moi aussi, avoir cette aura pesante qui invite fortement à la méfiance et au silence si elle ne provoque pas de frayeur. Peut-être aimerais-je également avoir ce don pour accrocher quiconque du regard et l'intimider sans un mot, d'un simple geste naturel qui sonnerait comme une menace supplémentaire pour autrui. Peut-être le souhaiterais-je, afin de me faire un nom qu'il serait plaisant d'entendre. Mais ce n'est pas grave. J'ai tout mon temps pour obtenir une telle notoriété, d'autant que je peux profiter de celle qui me colle à la peau à Aisling. Aisling, un lieu qui me semble confiné par rapport au monde, un lieu où on ne peut se cacher bien longtemps quand les gens qui y vivent veulent votre peau pour une raison grave ou futile. Paradoxalement, un havre de paix vis-à-vis du monde extérieur. Je suis tellement peu crédible ici que je peux faire certaines choses qu'on ne m'aurait pas laissé faire si j'inspirais la frayeur comme le professeur Salzmann. Je porterais sans doute un bracelet qui inhiberait mon don mais également une partie de mon énergie vitale, ce qui rendrait plus difficiles les bagarres et autres violences de ce genre. Au final, je serais comme prisonnière d'un étau aussi efficace qu'une camisole chimique et ne pourrais qu'insulter la populace. Alors, oui, il y a du bon à ne pas être aussi crédible que cet homme quand on n'est qu'un simple élève parmi tant d'autres.

Fascinée par ce que je pourrais aisément dénommer d'art les lignes que forme l'encre sur le bras et la petite flaque qu'elle accumule sous le coude, je cligne des yeux pour retourner dans la pièce lorsque je le vois tendre le bras afin d'écraser le bout de son mégot sur le cendrier. Un seul mouvement et le petit récipient en verre s'écraserait sur le sol en volant en éclats. Durant une seconde, mes yeux imaginent les bouts de verre se séparer au ralenti et voler au-dessus du sol avant de le rencontrer à peine plus légèrement pour le parcourir sur un mètre ou deux avant de s'immobiliser, menaçant pour toute peau insuffisamment protégée. Le professeur ne me regarde pas, mon œil fixé sur son visage le traverse d'un air presque inattentif, expression causée par mes pensées actives mais aussi par cette volonté de lui montrer que lui ne m'impressionne pas dans cette pièce aux lumières éteintes. Peu m'importe. J'aime autant profiter de la douceur de la pénombre qui s'installe imperceptiblement au fil des minutes qui s'écoulent. Cette ambiance pesante ne me déplaît pas, ce calme non plus, même s'il n'est qu'apparence.
Et je n'ai nulle conscience du danger que le professeur pourrait présenter à cet instant. Ni lorsqu'il élève de nouveau la voix, calmement, sans pour autant éclater l'atmosphère. Une voix basse et sereine dans une pièce silencieuse a bien plus d'effet. L'articulation est lente et sous-entends une suite que j'attends patiemment tandis que sa main délaisse la cigarette consumée pour se glisser derrière le bureau. J'entends distinctement dans le silence un tiroir qui s'ouvre, les petites roues glissant dans les rails en plastique placés de part et d'autre du contenant en bois pour le faire glisser plus aisément, moins bruyamment aussi. Mais le silence peut trahir à peu près tout les sons audibles par une oreille humaine telle que la mienne. Je sais donc qu'il a ouvert un tiroir et qu'il va en sortir quelque chose. Seulement, le mouvement semble s'arrêter tandis qu'il reprend la parole. Sèche.
Alors je comprends tout de suite qu'il se veut cinglant, offensant, blessant. Les attaques s'accumulent bien trop vite dans cette voix, et mes yeux se plissent tout naturellement. Manifestations primitives. Peu d'amis. Ego surdimensionné. Manque cruel d'ambition. Mon esprit analyse involontairement les défauts qu'on me reproche et y les répliques silencieuses résonnent dans mon esprit à chaque Montré effectivement les premières manifestations de mon don. Pas le moindre ami, cela ne m'intéresse pas. Ego surdimensionné... ? Si cela ne rime pas avec le narcissisme, d'accord. Manque cruel d'ambition...
Manque cruel d'ambition...
Silence.
Je ne sais quoi penser à cette remarque, alors je ne retiens que l'aspect vexant de la phrase. Il ne me connaît pas et ose me reprocher un manque cruel d'ambition ? Mes lèvres sont légèrement pincées, mes épaules un peu relevées et mon regard plus expressif, se voulant plus vif, plus tranchant. Parfaitement dérisoire à côté de ses yeux soudainement découvertes par les paupières tandis que le poing s'ouvre et frappe violemment la surface du bureau du plat de la paume, me surprenant alors que je digère tout juste les phrases formulées l'instant précédent. C'est donc tout naturellement avec un décalage que je réalise que son bras caché derrière le bureau vient de brandir le poing et de jeter un objet. Mon corps se tend comme un élastique puis fléchit souplement pour suivre le pas exécuté dans la précipitation. Mon œil reconnaît alors l'objet une fraction de second avant qu'il ne quitte son champ de vision. Alors qu'il revient sur le professeur, il réalise qu'il a jeté un second objet similaire. Mais mon corps est déjà en action et l'information, aussi rapidement fuse-t-elle, n'arrive dans mon cerveau que trop tard. Je ferme l'œil.

Poc... Poc. Pocpocpoc.... La bouteille à demi-vidée rebondit ainsi sur le sol avant de s'immobiliser. Rouvrant mes paupières, l'air un peu sonné peut-être, je constate les dégâts sans les observer, le regard négligemment posé au loin tandis que mon cœur, loin d'être négligeant, bat la chamade contre ma poitrine. Une majeur partie du contenu de la bouteille s'est versée sur ma veste, ma jupe et mes chaussures, giclant sur mon menton comme son sang auparavant lorsque j'avais fait sauté trois de ses ongles. D'autres jets ont ricoché sur le sol pour maculer la peau de mes jambes et je regrette, comme je regrette, cet échec cuisant. Je lève ma main droite, à peu près épargnée, et essuie lentement mon visage, étalant de l'encre sur la peau davantage que la nettoyant. Sur l'instant, je me sens misérable. Ridicule. Incapable. L'humiliation accélère mon souffle qui s'échappe d'entre mes narines dans un son léger mais audible peut-être même de la position du professeur. Mon œil revient à lui et l'observe sans émotion, mais il est aisé de la deviner par mon immobilité et l'air sonné affiché quelques instants auparavant. Mon œil cille rapidement plus venir se déposer sur ma main levée et observer l'encre qui la macule. Je la tourne, comme fascinée, le regard absent de nouveau, comme s'il peinait à réaliser la situation, comme s'il peinait à l'accepter dans son intégralité.
Minable. Et ce sourire carnassier qui étire ses lèvres et que je tente d'ignorer ne fait que souligner ce sentiment. Ma main se referme et j'observe mon poing quelques instants avant de relâcher le bras.
— Vous êtes faible, Dell’Elce.
Mes dents se serrent tandis qu'il continue sa tirade. Et il m'enfonce, encore et encore, comme si l'humiliation qu'il m'a fait subir n'était pas suffisante, comme s'il fallait non seulement me fissurer mais aussi percer ma carapace, et la briser, la réduire en miettes et les écraser pour en faire de la poussière qu'un coup de balai définitif ferait disparaître.
Mais il croit qu'il va m'avoir de cette façon ?
Sa tirade prend fin, mon regard a repris de sa présence, mon corps est tendu – sait-on jamais qu'il faille esquiver d'autres projectiles – et mes oreilles grandes ouvertes. À son tour, à présent, d'admirer l'art que peut former l'encre en s'écoulant simplement sur son épiderme. J'en sourirais dans une autre vie.

D'autant qu'il se lève et s'approche lentement de moi, son imposante stature exprimant davantage de menace au fur et à mesure que se réduit la distance qui nous sépare. J'ai presque mal aux clavicules en remarquant les piercings des siennes, sachant ces os tellement fragiles. Mon corps se tend davantage lorsque, sans me lâche du regard, il passe ses doigts sur sa gorge pour y laisser quatre traînées sombres. Je me demande jusqu'où il est capable de jouer pour m'effrayer. Je plisse des yeux de nouveau, comme si c'était la seule expression que je pouvais avoir pour toutes mes réactions, que je sois vexée, intriguée, pensive... Plisser des yeux pour toute réaction, gardant mes pensées pour moi. Mes réflexions défilent, mes réactions me tendent, et je me questionne sur ce qui secoue son esprit. Que pense-t-il, que veut-il ? Il s'arrête devant moi, je dois lever la tête, courbant sensiblement ma nuque en arrière, pour tenir son regard et voir encore les marques sur sa gorge. Il reprend la parole et je ne note tout-à-fait qu'une réplique.
— Vous êtes ici pour suer sang et larmes et dépasser vos limites.
Je me rappelle en conséquence une autre raison pour laquelle je n'aime pas les cours de PAD, encore moins ceux d'EPS. Ce n'est par nul manque intérêt mais bien au contraire par la tentation d'entraîner réellement mon don tel que je l'entends. Entraîner ma précision sans devoir tracer des mots niais sur une feuille de papier pour faire croire en mon innocence, entraîner la quantité sans devoir remplir un misérable saut en métal partiellement rouillé, ni créer la plus petite goutte possible sur une bête cible dessinée à la craie sur un tableau. M'entraîner à manier deux traînées d'encre en même temps sans avoir à gribouiller deux ridicules dessins à peine reconnaissables. Seule la partie défensive est un minimum intéressante. Réussir à créer une petite paroi d'encre suffisamment forte pour retenir certaines attaques... Intéressant, oui. Je ne serai jamais assez rapide pour esquiver une balle, mais en ce qui concerne les couteaux – qu'il me plaît moi-même de lancer sur mes ennemis...

— Vous croyez peut-être que je vais fuir comme le petit chiot que vous voyez en moi ? Que je suis blessée par vos reproches et furieuse contre vos attaques ?
Parler, parler. Répliquer. Cracher mon venin. Lui montrer que je n'ai cure de ses attaques. Elles ont l'effet de coups de poings dans la chaire grasse : cela fait mal, sur le moment, mais ne laisse nulle trace et est bien incapable de retenir la douleur plus de quelques instants. Qu'il m'insulte si cela lui fait tant plaisir ; je ne serai déconfite que pendant trois secondes.
— Je n'ai pas la prétention d'être sage et humble, ni celle d'aimer mon prochain et le respecter malgré les coups de couteau dans le dos. Je n'ai pas la prétention d'être meilleure que le monde dont je fais partie ni d'être une personne d'exception d'une façon ou d'une autre. Et je n'ai pas la prétention de donner des leçons de morale à quiconque.
Lancée dans ma tirade, je ne fais qu'une brève pause pour souligner mes dires par un regard défiant. Je n'ai pas peur de vous, Salzmann. Vous pourriez exprimer des tendances nécrophiles ou cannibales que je ne tremblerais nullement à vos pieds.
— Bien sûr que je suis seule, bien sûr que je hais le monde, tout comme je hais madame Lenoir, tout comme je vous hais. Je ne le cache nullement, bien au contraire, alors votre remarque acide à ce sujet ne m'ébranle guère.
Bien au contraire. Cela alimente encore une réputation de gosse minable qui crache misérablement sa haine aux pieds des gens. Ce qui n'est pas totalement faux.

Baissant les yeux, je fais deux pas en arrière, ajoutant environ un mètre cinquante à la mince distance qui me sépare de lui.
Suer sang et larmes ?
S'il entend par-là que je finisse par terre, épuisée physiquement comme moralement par ce cours à la tournure impromptue, il peut rêver.
Encore.
Mais s'il veut que je travaille réellement et que je me surpasse...
En premier lieu, je décide que je me sentirai mieux sans toute cette encre. Alors, lentement, tranquillement, je la fais glisser sur moi, la décrochant soigneusement de chaque tissu – peau, vêtement, cheveu – en fait former une flaque noire à mes pieds. Qu'elle vienne de bouteille en plastique, de cartouches d'encre ou de cartouches d'imprimerie, je contrôle son mouvement, j'arrive à la décoller de ma peau et à modifier sa contenance en huile ou en alcool s'il y a. Rendre une encre inflammable et juste faire craquer une allumette... Combien de fois j'ai voulu le faire juste à Aisling ? Combien de fois j'ai dû me retenir avec violence, allumant le radio réveil pour n'entendre que du bruit blanc, gobant un quart de somnifère et jouant avec un zippo volé à un camarade pour plonger dans la danse de la flamme, soupirant tout bas accoudée à ma fenêtre sous le ciel noir et toujours dénué d'étoiles ? Voir partir à la pire période, celle où j'avais besoin d'elle pour l'insulter, la jeter au sol et lui frapper les côtes au risque de les briser en l'insultant davantage en la voyant pleurer de rire tout autant que de douleur. Vider les tiroirs, retourner le bureau, déchirer les draps, transformer les feuilles vierges en lambeaux et laisser libre court à l'encre qui noircit les murs. De rage !
On ne jette pas l'encre sur une page ainsi !
Et frapper poings nus contre le mur, se casser un ongle de pied en voulant faucher le bureau, cracher jusqu'à être à deux doigts de vomir le repas du soir et se jeter violemment une partie du sol encore sec. Sentir une boule nouer la gorge, incapacité à crier, incapacité à pleurer, oui, incapable, misérable, car je ne peux pas pleurer dans cet état ! Alors s'abandonner au milieu de la tempête, exténuée, et fermer les yeux au son du bruit blanc pour éclairer ce couloir sombre dans lequel je me suis sentie jetée sans sommation.
Mais ce soir...
— J'ai ma façon de travailler...
Tête légèrement inclinée en avant, regard serein, voix posée... Soit à peu près l'opposé des instants qui précèdent mon recul. Regrettera-t-il de m'avoir ainsi poussée ? Sera-t-il furieux intérieurement ? Jettera-t-il encore des coups par des paroles tranchantes énoncées dans le plus grand des calmes ? En viendra-t-il aux mains ?
— Il est... plutôt misérable... ou amusant selon les points de vue... que j'éprouve des difficultés à travailler autrement.
J'observe d'un air toujours aussi distrait les veines de ses poignets que j'arrive à saisir de l'œil sous la peau grise. Alors qu'au premier échange, je me pensais en face d'un professeur exigeant et effrayant, j'en suis à me demander s'il n'est pas capable d'être violent autrement que par des critiques formulées acidement. Sans le craindre pour autant. Moins de deux mètres nous séparent. Ayant eu un aperçu de sa vivacité, je sais que les chances que j'esquive le premier mouvement ne sont pas trop mauvaises, mais s'affaiblissent dramatiquement pour les suivants. Mon corps est aussi tendu que je suis calme intérieurement.
Alors je voudrais essayer... doucement d'abord... Je voudrais voir si des heures de lectures accumulées sur plus d'un an commencent à porter leurs fruits.

Je voudrais savoir si l'infime quantité d'encre que je génère tout progressivement est capable de tenir dans un si mince espace sans le briser. Il devrait le sentir, à présent... Mais je crois que la veine tient bon. Alors, toujours avec précaution, attention, je déplace le flux vers la main. Mais le premier coup n'est jamais le bon. Ou si. En de rares occasions, seulement. Et je ne peux mettre le doigt sur l'occasion cette fois. La veine cède et l'encre s'écoule sous la peau, l'attaquant de l'intérieur. Cela doit faire mal. Cela a dû faire mal dès le début, dès que ce corps étranger est apparu dans cette veine. Le sang tente aussitôt de soigner la blessure mais l'encre est piquante, l'encre est douloureuse, l'encre est déchirante.

En fait, s'il réagit, je n'aurai même pas le temps de faire « ouf ». Mais ce serait bien d'essayer, là aussi...



“Fais chacun de tes actes comme si c'était le dernier de ta vie.”
Marc-Aurèle
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The threshold is breaking tonight xxx Luce

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