Joyeux Noël

«L'Étrange Noël de Mister Taggart»

C’était la nuit de Noël, une neige belle et blanche tombait avec grâce sur Aisling. En Irlande, cela faisait exactement une semaine que cette belle dame en blanc avait débarquée au pays trainant avec elle la fin de son long manteau blanc et froid. Les batailles de boules de neige allaient bon train, si bien que des barricades de neige entassées servaient de plaques aux petits polissons qui s’amusaient à bombarder les employés et étudiants d’Aisling. La patinoire en ville avait ouverte depuis maintenant un mois déjà. Les décorations envahissaient les rues, les magasins, les cours … Oui Noël mettait le cœur en joie et perdait presque tout son côté sombre avec le froid violent, la mort lente et douloureuse de la nature, les milliards de sans abris qui la goutte au nez tendaient leurs mains dans l’espoir de sentir la chaleur d’un feu cheminée. Comme le souhaite la tradition, c’est en famille que l’on fête ce merveilleux événement autour d’un repas festif, constitué notamment de la dinde de Noël, de fruits de mer, de foie gras et qui se termine traditionnellement par la bûche de Noël, un dessert en forme de petite bûche ; ce dernier est souvent un gâteau roulé recouvert de crème au chocolat, parfois il s'agit d'une glace. Cette bûche rappelle la tradition ancienne où l'on mettait alors au feu une grosse bûche en début de soirée. Cette bûche était choisie pour sa taille et sa qualité car elle devait brûler pendant toute la veillée pour réchauffer le foyer. Qu’elle douce image chaleureuse et rayonnante avons-nous là pour un hiver des plus hostiles.

Mais revenons plutôt à l’institut Irlandaise qu’est Aisling, car dans l’une des nombreuses salles de celui-ci, les élèves s’activent à terminer les dernières décorations, à finir de se préparer pour être le plus présentable possible. Ce n’est qu’après le dîner copieux et préparé avec amour et soin qu’on peut trouver un moment de repos en attendant patiemment que minuit sonne. Pendant que certains chantent de merveilleux chants près du piano à queue, d’autre se concertent pour savoir qui doit offrir quoi et surtout à qui, tous semblent heureux. Tous ? Oui, parfaitement tous, en particulier Clafoutis, le jeune garçon au fond de la salle caché dans un grand fauteuil moelleux au coin du feu. C’est en particulier sur lui que se tournent les projecteurs ce soir. Qu’a-t-il de particulier ? Rien. Absolument rien. Et pourtant c’est sur lui que repose ce court petit conte de Noël. Comme tout le monde ici il est heureux, mais pas pour les mêmes raisons que tous ceux qui sont ici à attendre d’ouvrir leurs petits cadeaux. Non. Clafoutis est tout simplement heureux de voir tous ces gens êtres heureux. Comprenez le, il les aime tous, sans aucune exception. On pourrait dire qu’il les aime comme le Dieu chrétien qui aime ses enfants à une nuance près cependant, mais qui est bien trop sombre et enfouit pour qu’on y face attention en ce soir de sainte fête.

Confortablement installé dans le seul fauteuil libre qu’il restait, près du feu, le jeune homme a dans sa main gauche un verre de lait de poule tendit que de la seconde, il tourne les pages d’un vieux recueil de poésie contant la formidable histoire du Noël de Monsieur Scrooge. Seulement, notre cher damoiseau est un peu distrait par la fête qui l’entour et la chaleureuse ambiante qui peu à peu, avec la douceur du feu et les vapeurs de rhum du lait de poule, le font sombrer dans les bras de Morphée. Alors que personne ne se soucient de ce jeune garçon endormi près du feu, celui-ci se retrouve dans un décor sombre et après quelques pas avec pour seul bruit de fond l’écho de ses pas, il se sent soudainement chuter, se réveillant brusquement dans le même fauteuil moelleux et rouge, le feu commençant à peine à naitre, la salle presque terminée. Notre petit brun est assez surprit et mal réveillé. Quoi de plus normal après un tel phénomène étrange ? Des sueurs froides lui viennent alors lorsqu’il voit l’heure qu’il est, dix-neuf heure trente. A cette heure, normalement il devrait être entrain de manger avec ses petits camarades l’entrée du dîner de Noël. D’un pas assez maladroit il se lève donc de son siège pour s’avancer jusqu’aux portes pour quitter la salle quand une voix d’enfant l’interpellait. Avec un petit frisson et des sueurs froides il se tourne donc vers cette voix qui l’appelle par son véritable prénom. Miracle ? Personne ne devait le connaitre pourtant …

- Clafoutis ? Tu veux déjà me quitter ? On a une longue nuit pourtant devant nous… Tu veux un verre de grenadine avant qu’on ne commence ? Je dois t’avouer que je meurs de soif.

Le jeune homme reste muet comme une carpe lorsqu’il découvre l’identité du propriétaire de cette voix d’enfant car celui-ci n’est autre que lui lorsqu’il avait dans les douze ans. Le gamin, vêtu d’une toge légère et blanche, portant des sandales de cuir et une couronne fleurs le regarde avec son petit air innocent se demandant si notre anti-héro va oser lui demander quelques explications. D’un regard rempli d’interrogation, ce jeune garçon s’approche avec une certaine méfiance près de cette enfant. Il se demande probablement s’il n’a pas trop abusé du lait de poule pour voir une telle chose se réaliser. Avant même qu’il n’est le temps de demander quoique ce soit, le petit ange avait reprit la parole de sa douce voix céleste.

- Je te rassure tout de suite, je ne suis que le fruit de ton imagination, le reflet de ton fantôme passé. Je n’ai ni ton caractère, ni ton intelligence, juste ton apparence passé. Je vais t’accompagner un temps, puis je laisserais la place à mes frères. Tu dois être sacrément bouleversé pour faire appel à nous le soir de Noël. Papa te sait bon, c’est pour cette raison que ce soir tu es passé en tête sur nos listes. Allons, prends ma main. Ne t’inquiètes pas on ne quittera pas cette pièce, tout se passe dehors regardes.

D’un geste lent, le fantôme prend alors la main de Clafoutis pour l’approcher des grandes fenêtres qui donnent sur l’extérieur et lentement l’illusion nait, montrant au début des images floutées puis peu à peu très nets, un jour de Décembre qui était bien familier au jeune adolescent. Devant eux se déroule le jour où Juliette, Léo, Jules ainsi que Lola et Clafoutis sont ensemble, un peu avant noël, à s’offrir chacun des petits cadeaux. Vêtus de beaux et chauds manteaux, les amis rient et soufflent dans leurs mains gelées par le froid. Ils sont encore si petits, si jeunes et si insouciants, passant ensemble un bon moment un peu avant Noël. Léo et Jules se bousculent, se lancent des boules de neige sans trop faire attention à Juliette un peu distraite. Soudain, l’image se brouille et ne devient qu’une masse de couleurs étranges comme si de l’eau était tombée sur un dessin fait aux feutres. Le petit garçon qui tient encore la main de Clafoutis lève alors sa petite tête vers lui, regardant ses yeux légèrement rouges et humides. Ainsi devant cette fenêtre maintenant tout à fait banale, ils attendent un instant, le temps qu’il faut pour encaisser doucement ce moment intime qu’il avait enfoui au plus profond de lui.

- Qu’elle était belle la joue Lola, ses cheveux ressemblent à ceux des anges, d’un merveilleux blond. Ils te manquent n’est ce pas ? Et Lola ? Tu l’as revu après son départ ? Ecrit peut être ? Penses tu qu’elle pense encore à toi ou bien qu’elle fête Noël tout simplement comme vous le fêtiez ensemble … Et Juliette ? Elle t’aimait beaucoup tu sais, tu étais un peu comme un grand frère à ses yeux. Léo et Jules aussi. Quand tu quitteras Aisling, tu vas aussi enfouir et faire semblant d’oublier ceux qui ont partagé ta vie dans le simple but d’aimer ton nouvel environnement ? C’est beaucoup de questions que je pose là, mais au fond, soyons sincère, tu te l’ais déjà demandé non ? Je devais te montrer ceci pour amorcer le travail de mon ainé. C’est ici que nos chemins se quittent, peut être que tu feras de nouveau appel à moi, un jour. Il faut faire des choix Clafoutis, fais les bons.

Tout en parlant, le petit enfant avait lâché sa main pour se reculer doucement près des flammes afin de disparaitre aussi facilement qu’une feuille de papier gras jetée au feu. Le jeune homme ne bouge pas, il reste là, devant cette fenêtre à essayer, peut être, de rassembler tous les morceaux de sa vie éclatée. Une fois en dehors de l’institut il aimerait de nouveaux individus c’était plus que sûr, mais que ferait sa mémoire de ses anciens amours ? Elle enfouirait probablement les plus douloureux et sentimentaux, oublierait probablement les moins importants. Ce n’est tout de même pas sa faute si il doit tourner les pages de sa vie afin d’avancer et pourtant … Ce qui est fait, est fait. Le jeune homme ne peut retourner dans le passer maintenant, mais c’est un tout autre message qu’essayait de lui faire comprendre le fantôme du temps passée. Celui-ci est si simple à dire et à penser, mais pourtant si dur à accomplir. Il est tout bête. Garder le contact avec les relations que l’on crée. Alors que notre jeune blanc-bec réfléchit à ceci, la pièce semble reprendre vit. Les élèves arrivent avec leurs cries et leurs rires s’amusent et chantent autour du nouveau fantôme qui a prit place dans le fauteuil moelleux et confortable auprès de la cheminée. Celui-ci joue aux cartes, rit et boit. Ses yeux sont mobiles et respirent la joie de vivre. D’un claquement de doigt on lui apporte un lait de poule et sur un ton sûr de lui, il élève sa voix majestueuse pour que notre cher Clafoutis l’entende.

- Et bien Claf’ ! T’as l’air tout triste ! Tu ne devrais pas, après tout c’est Noël ce soir ! Approches et vient t’amuser ! Oh ! Allons ! Ne me regarde pas comme ça, je ne suis que le cadet. Gardes tes larmes pour mon aîné.

D’un petit geste discret, notre anti-héro se frotte le nez avant de s’avancer vers le fantôme du Noël Présent. Celui-ci lui ressemble comme deux gouttes deux à la nuance près qu’il porte une chemise en soie rouge, un pantalon de toile noir et une belle cravate verte. Autour de lui, les gens sont assis et le regarde avec ardeur et envie. Sur le sol, près du feu, le livre de poésie repose et notre Clafoutis le ramasse et essuie la cendre qui lui salit la couverture. Comme a son habitude il observe. Il observe ce fantôme qui sans aucun remord lui a volé son identité pour rire et s’amuser. Contrairement à lui, il profite d’une manière plus tactile de l’amour de ceux qui l’entour. Il en profite et pourtant reste dans le respectable, ne se laissant pas surpasser par cette ardeur qui brûle au plus profond du corps de Clafoutis, ce poison vil qui lui ronge les entrailles. Après quelques gorgées de lait de poule, le fantôme prend de nouveau la parole, observant de temps en temps le poireau qu’est Clafoutis près de lui.

- Tu vois le bracelet qui est à notre poignet, moche n’est ce pas ? Pourtant c’est grace à lui que le contrôle reste. Tu vois, tu n’as pas à t’en faire. C’est un peu difficile au début mais avec le temps je pense que tu en prendras le pli. Laisses toi un peu aller, il n’y a pas de mal à profiter un peu de la vie et de la vivre au lieu de la regarder bêtement et se priver. Tu ressembles à mon ainé, il sait toujours priver, toujours en retrait et regarde le maintenant. Il n’est qu’une ombre au fond de la salle. D’ailleurs tu devrais te dépêcher, ça fait cinq minutes qu’il t’attend.

En effet, au fond de la salle une silhouette est appuyée au mur. Elle regarde dans leur direction mais ne bouge pas, ne parle pas et alors que Clafoutis continu son chemin, s’avançant à pas lent vers elle, le bruit de la fête s’éloigne peu à peu et la lumière s’abaisse. Lorsque le jeune garçon se retrouve face à cette ombre, il constate alors bien vite que l’atmosphère est fraiche et silencieuse. Intrigué, il se retourne est découvre avec effroi une salle presque totalement brulée. Dans le fauteuil, une masse sombre avec un bracelet brulé. Lentement celle-ci ouvre les yeux, le fixe, puis tourne la tête vers la cheminée. Clafoutis n’a ni le temps de bouger, ni même le temps de parler que deux hommes d’un pas pressé entre dans la salle et commencent à parler.

- Quand même. Faut être niait pour ne pas sentir qu’on prend feu !
- Ah… Que veux tu, de nos jours les jeunes sont drogués et insensibles …
- Mais enfin quand même. Et c’est à qui que nous devons rapporter les cendres ?
- Aucune idée. J’ai questionné les élèves présents lors de l’incendie, personne ne sait qui cela pouvait il être.
- Aucun Nom ?!
- Non, aucun. Mais on n’a de la chance, il portait apparemment un bracelet, regarde ça. T’as la liste des élèves portant un tel objet ?
- Oui, attends elle est dans ma poche. Arf… Ou peut être l’autre.
- Mais non, regarde elle est là. Vraiment. Fais gaffe un peu. Bon alors on a plus qu’à voir son numéro.
- Alors tu trouves ? J’ai déjà compté les filles, elles sont toutes en vie.
- Heureusement … Ben. C’est bizarre. Je trouve pas le sien.
- Comment ça tu trouves pas ? Tu te fais vieux mon ami, donne moi ça, je vais compter.
- En plus de ça, il a carrément bien brûlé. C’est pas de chance, les pompiers avaient un autre feu au nord.
- Ben ça alors …
- Quoi ?
- Ben… J’ai compté deux fois, ils sont tous là. Personne ne manque. On fait quoi ?
- Ah j’en était sûr !
- De quoi ?
- Ces sales gosses nous on encore joués un de leur tour ! C’est surement une poupée ou je ne sais quoi ! Allez jetez moi ça à la poubelle qu’on rentre fêter au plus vite Noël.
- Ah ! T’as pris quoi à ta fille au final ?
- Bah… Une poupée et un petit chat roux. Si tu savais comme elle nous a cassé les pieds pour ce chat…

Alors que les deux hommes s’éloignent, Clafoutis se sent de nouveau tomber et brusquement secoué il revient à sa chère réalité. Ici rien à changer si ce n’est l’heure, vingt-trois heure sonne. Un peu humide, il regarde le feu qui brûle à côté de lui, probablement en train de se demander : « Et si j’allais finir ma vie brûlée ? ». La fête bat son plein, on rit, on chante et on joue aux cartes. Un jeune homme, plus âgé et roux s’avance près de notre petit homme encore sous le choc du rêve qu’il vient de faire. D’un sourire enjôleur il lui propose de venir jouer avec eux aux cartes. De ce rêve étrange, Clafoutis pouvait donc en tirer trois bonnes leçons qui toutes étaient dans le même domaine, celui du sociable. Il est bien beau d’aimer mais faudrait il encore se faire ne serait ce qu’une petite place bien faite dans ce monde pour éviter qu’un jour, personne ne sache dire votre nom et vous oublie comme le vent qui souffle les cendres d’un bois qui a brulé toute une nuit.