Ma vie c'est de la merde et je vous emmerde.
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Drink it up, drink-drink it up,
When sober girls around me, they be actin like they drunk.
Je tiens à préciser pour ma défense que cette dite merde, je ne l'ai pas cherchée. J'ai peut-être poussé un peu les évènements, mais autrement, ces derniers sont suffisamment dégourdis pour me trouver d'eux-même. Quitte à raconter ma vie, autant commencer par là, puisque de toutes façons, personne ne me posera de questions sur quoi que soit d'autre, je le sens bien. Le reste, vous pouvez le marquer sur un post-it, et puis je tacherai d'y répondre un jour.
Ça faisait bien dix minutes que je rêvais d'une pelouse en dessous de ma fenêtre, cette nuit-là.
Pour plusieurs simples et bonnes raisons. La première étant qu'elle remplacerait les petits gravillons de merde qu'on envoiyait à répétition sur mon volet entrouvert depuis tout à l'heure. Je jurai en continuant de me maquiller dans le miroir, un peu rapidement et pas si efficacement, finissant par lâcher le crayon pour ouvrir la fenêtre, et par la même occasion y balancer une grosse peluche de porcinet.
▬ Alexis, sérieux, fais pas ta chieuse !Vous avez essayé de crier en chuchotant ? J'ai toujours trouvé le résultat drôle.
▬ Mes parents dorment à côté, va pas les réveiller.
▬ Alors bouge toi ! Bon, tant pis. Dans la précipitation, il était l'heure d'abandonner l'idée d'un maquillage raffiné et parfaitement appliqué, mes yeux sont trop noirs, j'avais une bouche qu'Alexis qualifierait de suceuse, mais qu'importe. Même en sachant qu'on allait sortir, j'étais toujours incapable de me préparer suffisamment en avance ; si mes parents avaient débarqué soudainement, ils se seraient douté que je n'allais pas me pieuter pour relire mon cours de bio.
Je planquai habilement le bazar ambiant sous mon lit, chaussai mes santiags, enfilai ma veste par dessus mes blings-blings et m'apprêtai à affronter ce que je détestai tant en situation de crise – à savoir, en jupe. Passer par la fenêtre, s'agripper aux tréteaux sur lesquelles poussaient les roses du jardin et atterrir bien évidemment tout en douceur.
Par ailleurs la deuxième raison pour laquelle j'aurais largement préféré qu'il n'y eut pas de gravier en cet endroit. Au moins ça faisait marrer mon amie, de pouvoir compter les trous dans mon collant.
Je vivais globalement la vie dont j'avais toujours eu envie. Dans une école super, dans le confort et agrémentée de fiestas où dans le pire des cas je pouvais me faire inventer.
Commençons par le commencement, à savoir Stallone. Être reçue là, c'était comme être Harry Potter et recevoir sa missive à ses onze ans, destinée à le sauver d'une vie de looser où il aurait continué à dormir dans son placard jusqu'à ce que scoliose s'en suive et où il aurait fini fonctionnaire à la con. Même si pour moi, l'effet de surprise était un peu gâché. On pouvait même dire que si je n'allais pas là-bas, c'était que la génétique s'était foutrement fichue de moi, et que j'aurais peut-être même été reniée par mes parents.
Eux aussi, ils ont des dons. En bon catho jusqu'à la moelle, ils ont toujours pris ça comme une bénédiction divine ou je ne sais quoi. On est à Stallone de génération en génération, chez moi, on se marie entre gens de là-bas si possible histoire de procréer efficacement si vous voyez ce que je veux dire, même si je pense que ça a du foirer quelque part pour qu'on m'attribue cette foutue métamorphose.
J'évite de trop le répéter là-bas, ça fait bien marrer les gens. Enfin ils finissaient par l'oublier. Malheureusement, avec certains, ce truc finissait par me poursuivre sous la forme de vannes diverses et variées, perpétuées par Alexis, qui elle se la jouait à créer des mini-tornades, ou encore Ean, et sa capacité à faire pleuvoir quand il avait le blues quand toi tu t'étais innocemment ramenée en tongs le matin.
Ah ? Un nouveau nom. Vous le voyez venir. Ean, 17 ans, un mec gentil comme tout. Le gars qui m'avait suivi à la trace pendant des années, m'offrait des chocolats histoire de m'engrosser encore un peu à la St Valentin, se faisait des débats mentaux quand il fallait me prendre dans ses bras, et dont depuis tant de temps j'ignorais volontairement les sentiments au nom de cette belle amitié. Quelque chose comme ça. C'était pas faute d'avoir été poussée par Alex, qui nous rabâchait depuis quatre ans à quel point on devait être faits l'un pour l'autre et j'en passe.
▬ Il t'a appelée ?Je lève les yeux vers elle, tandis qu'elle me tend un casque pour son scooter.
▬ Hein, qui ?
▬ Ean, qui d'autre ?
▬ Ah. Mais non, je sais pas moi, peut-être qu'il m'a envoyé un texto, il doit être là-bas. La brune grimpait sur son engin, et je montais derrière elle en accrochant mes bras autour de sa taille – entre parenthèses dont la mienne avait tout à envier, salope.
▬ Tu devrais lui laisser une chance.
▬ Recommence pas avec ça.
▬ Tu sais il-
Bruit de moteur qui démarre.
▬ Hein ?
▬ Laisse tomber, dit-elle en élevant suffisamment la voix.
Puis finalement le scooter décolle, et c'est pour moi l'un des meilleurs moments de la soirée.
Faut aussi dire que celle-ci était particulièrement à chier.
*
Voilà, après le confort de ma petite vie, la troisième chose dont je parlais dans ce que j'aimais. Le son des baffles, les lumières qui décomposait chaque mouvement, chaque instant, les verres qui circulaient, le fait qu'on ne pouvait pas franchement voir que mon maquillage était inégal. Je me foutais bien d'être un petit cliché sur pattes, la version un peu plus confortable, moins rachitique et charismatique à la tumblr, mais qui n'en fumait, buvait, et passait pas moins des trucs louches.
Honnêtement, qu'est-ce qu'on pouvait faire pour s'amuser plus, de nos jours ? Si j'avais eu la sensation que quelque chose d'autre m'attendait pour avoir ce sentiment, ça ferait longtemps que mes activités auraient un peu varié.
Ça s'arrêterait bien un jour de toutes façons.
J'aurais juste aimé que cette chanson dure un peu plus longtemps.
Pendant je commandais un deuxième gin tonic, je sentis derrière moi deux bras entourer mon buste et la seule indication d'un rire se manifestait par ce souffle qui chatouillait l'arrière de mon oreille. Je connaissais parfaitement ce genre de petite brise. Je gloussais contre le touilleur de mon verre.
▬ Qu'est-ce que tu fous, Ean ?
▬ Vous en avez mis, du temps. Je me retournai pour lui rétorquer quelque chose, avant de remarquer la présence d'un de ses amis à ses côtés. Lui accordant un vague regard j'embrassai le blond, Ean est un peu blond, sur la joue.
▬ Vous êtes là depuis longtemps ? Il haussa les épaules, ce qui devait signifier trois bons quarts d'heure pour lui. Je le connaissais par coeur.
Le gars à côté de lui, c'était Donovan, ou Don. Bien souvent je me faisais la réflexion, à savoir qu'est-ce qui pouvait réunir un gars comme Ean avec un type comme lui et faire en sorte qu'ils soient les meilleurs amis du monde, quand l'un était l'amour incarné, et l'autre n'était qu'une langue de pute, pour parler comme chez nous. D'ailleurs, son don lui convenait parfaitement. Rumeur, que c'était. J'avais pris pour habitude avec Alexis de l'appeler Gossip Girl.
Fidèle à lui-même, il n'était jamais en reste pour ce qui était de savoir les dernières news croustillantes me concernant, concernant moi, Ean, mes culottes, ma relation en devenir lesbien avec Alexis, tout ça. Venant de la personne qui avait adoré répandre la vérité sur ma métamorphose saucisson sur pattes, ça n'avait rien d'étonnant.
Il m'énervait. Il fallait aussi toujours qu'il soit au milieu quand j'aspirais à un moment sympa avec son meilleur ami en titre ; en attendant, il était quand même là pour me payer un autre verre, et insister pour me taper la discussion.
▬ Alors où vous en êtes tous les deux ? Pour écouter Don, il me fallait toujours une certaine dose d'alcool. Alors à partir de ce moment, j'arrivais à me détendre un peu, j'arrivais à rire avec lui, me faire tirer par le bras sur la piste de danse, et tomber directement dans son piège à ragots en répondant à ses questions. Avec cinq verres de plus, j'aurais presque pu réussir à le trouver mignon.
Le fait était que cette nuit, tout ce dont j'avais besoin, c'était d'oublier la façon dont me regardait Ean, et que pour ça, je voulais absorber suffisamment pour le rendre flou, ce que je fis. J'alternais entre Alex et Gossip ceci dit, toute la soirée, à croire qu'ils étaient de mèche. Entremetteurs de merde. Quand je vous disais que je ne cherchais pas les évènements, mais que c'étaient eux qui le faisait charitablement.
Mais la vérité c'était que pour l'instant, c'était que pour l'instant, j'étais soul. Et la vérité c'était que pour l'instant, je ne disais pas vraiment la vérité. Je préférais écouter la musique, enivrée par les mouvements ambiants, raison pour laquelle j'étais là, après tout. Je n'ai juste pas tout compris quand l'un d'eux m'a pris par la main, et m'a emmené dans un endroit plus calme, là où les baffles ne faisaient que résonner, égarées dans un coin de ma tête. J'ai fait comme si, gloussant comme une possédée. Il me restait tout juste de quoi danser, quand j'ai passé mes mains autour du cou de la personne qui m'avait si gentiment emmenée à part, histoire de montrer ma reconnaissance.
Je pourrais toujours continuer de fuir après, fuir leurs questions, faire comme si ne rien ne s'était passé dans cette chambre un peu retirée au bout d'un couloir, même pas la mienne, je faisais partie de ces couples irritants qui copulaient pendant les soirées, alors. Il y a eu un baiser, puis un autre, qui s'enchainèrent juste comme je l'avais imaginé. Parce que je l'avais fait, c'était vrai, je m'étais déjà bien fait le film dans ma tête, comme cette fois-là aurait du se passer. Je faisais mon hypocrite, ma fuyante, mais finalement, le moment venu, je me laissais facilement avoir.
Je crois qu'en fait, les ellipses narratives sauveront ma vie pour ce qui est de passer à la suite sans décrire.
*
▬ Peggy ? Tu es là-dedans ? La voix de Alexis à travers la porte m'a faite bondir hors du lit. Qu'est-ce que j'avais l'air bête, totalement éparpillée, par encore tout à fait déshabillée, pas bien couverte non plus, à récupérer en trombes toutes mes affaires. Je lui donnais une réponse égarée, totalement perdue entre mon amie derrière ce mur, la musique qui me tapait sur le système, et le regard du garçon sur le lit, fixé sur moi. Je faisais de mon mieux pour ne pas le lui rendre. Repli stratégique, il fallait partir maintenant, tout de suite, avant même d'avoir pu dire quoi que ce soit sur ce qu'il venait de passer. Je ne voulais juste pas en entendre parler.
Sauf que bien évidemment, demander à Don de fermer sa gueule, c'était toujours trop demandé.
▬ Tu t'enfuis déjà ?
▬ La ferme, sérieusement, la ferme la ferme. Tandis que je répétais ça en tentant de récupérer mes affaires, il m'attrapait par le bras, un sourire au coin des lèvres, quel que chose qui me disait de rester et me donner envie de lui gerber dessus.
▬ Ean et Alex ont bien du voir qu'on s'était tous les deux absentés. Ean a beau l'air débile, il finira par faire le lien.Ah le voilà le vrai Don, celui que je connaissais. L'hypocrite, qui s'ouvrait gentiment en ma présence, qui se sentait tellement obligé de m'écraser de son honnêteté quand son mensonge perpétuel me faisait déjà fuir. Pourquoi moi, pourquoi y ai-je droit ? Je n'avais aucune envie de le connaître plus – raison pour laquelle je venais de faire ce que je venais de faire, je sais – ni de l'entendre médire sur son prétendu meilleur ami. Je le repoussais de mes deux bras, il tentait encore de me retenir un peu mais je m'échappais, de lui et son sourire satisfait.
Qui était le pire, entre la meilleure amie qu'on aime et le meilleur ami qui connait cet amour, quand ces deux-là couchaient ensembles ? J'avais honnêtement un peu peur de la réponse. Je ne voulais pas qu'il sache, il ne devait pas savoir, ça l'aurait brisé lui, et ma réputation avec. Je ne comptais pas sur Donovan pour être un gentleman concernant cette soirée, et à voir la façon dont il était en train de jouer avec un de mes sous-vêtements que je cherchais assidument, j'étais réellement la personne qui le connaissait mieux que personne.
▬ Rends moi ça.
▬ Je pense plutôt l'afficher sur le tableau scolaire de Stallone, à la rentrée. Combien il faudra de punaises pour qu'elle tienne tu crois ?
▬ Pourquoi tu fais ça à Ean putain ! Tu veux quoi, qu'il te déteste ? Et là ça a tout renversé, je l'ai senti dans son regard. Il se fit plus dur, mais plus vrai aussi.
▬ Qu'il me déteste ? Vous êtes tous cons ma parole, regarde toi Peggy, c'est vraiment toi qu'il va finir par détester. Tu passes ton temps à lui foutre des vents et puis tu sautes sur son meilleur ami dès qu'il te chauffe un petit peu. T'es même pas soûl, Peggy, tu fais de la peine, tu croyais qu'en faisant semblant, ça marcherait, que tu passerais pour la pauvre fille pas consciente de ses actes ? Ben voyons.
▬ Rends moi ça, c'est tout ce que je trouve à répéter.
▬ Tu devrais y aller, ma chérie, demande à Alex de te ramener ? Et assume un peu ma cochonne ça te fera du bien.Je le haïssais. J'avais envie de lui faire bouffer ma haine comme je lui ai fait manger un oreiller qui traînait, et puis je me suis enfuie comme ça. Je passais devant Alexis qui, m'appelant, partait à ma suite. Je ne sais plus si j'ai croisé Ean ou pas, ou si j'ai fait tout mon possible pour ne pas le remarquer.
Dehors, elle finit par me rejoindre, totalement perdue devant mes réactions.
▬ Peggy qu'est-ce qu'il se passe ?
▬ Je rentre.
▬ Attends, quoi ? Quelque chose ne va pas ? Je te ramène en scooter ?
▬ Je peux pas.
▬ Tu peux pas.
▬ Non.
▬ Mais pourquoi tu peux pas bordel ?
▬ Parce que j'ai pas de culotte.Vas-y dis le plus fort encore je suis sûr que les deux mecs défoncés au coin de la rue, là-bas, n'ont pas encore bien entendu. La situation était totalement débile. Je crois que j'ai encore envie de faire une ellipse avant de continuer de m'enfoncer dans les méandres d'à quel point j'étais pitoyable.
*
Finalement, c'était ça mon histoire. C'était comme ça, je ne sais pas pourquoi, il fallait toujours qu'entre le mec adorable et le parfait salaud, on choisisse le deuxième, juste parce que.
Parce que je n'en ai aucune idée, à vrai dire, depuis Août je cherche une réponse. Le fait est que j'aurais pu essayer d'oublier, aller au de-là, et même nier, dire que Don n'était qu'un voleur de culottes et puis m'en sortir comme ça. Mais quand les autres vous laissaient des suçons et autres preuves compromettantes, il fallait que j'emporte avec mon un souvenir bien sympa de cette foutue soirée.
Le reste, vous le connaissez à peu près.
Mes parents l'ont appris, et on tout à fait pété leur câble, c'en était presque indécent. À partir de là, tout le formidable petit manège éclate en morceaux, et tous les mensonges d'adolescents les plus habiles n'auraient pas suffit à me sortir de cette situation. Maintenant j'avais seize ans, je m'apprêtais à faire ma rentrée à Stallone, et j'avais un polichinelle dans le tiroir.
Ma mère surtout a paniqué, et ex-membre influente de l'école, elle s'est arrangée pour les convaincre de son discours sur la morale la réputation qu'ils avaient à tenir, estimant qu'ils ne pouvait pas m'accueillir tant que je serais dans cet état.
Et me voilà. Envoyée à Aisling le temps qu'on me débarrasse du parasite qui me squatte. Je ne le déteste pas, d'ailleurs, en soi, j'aurais eu du mal à avorter, pour le geste ; ça me prouve que je suis juste encore qu'une gamine incapable d'assumer quoi que ce soit ou de prendre une décision. J'ai l'impression d'être punie pour un an, punie de ma petite vie pour être envoyée dans un trou pendant un an, où il pleut tout le temps – c'est ma vision de l'Irlande, je n'accepterai aucune réclamation. Adieu fêtes et superbe école, c'est comme si j'étais directement propulsée à un stade adulte dont j'ai pas envie, même si parallèlement, ça m'évitera d'avoir à assumer tout ce qui trainera à mon propos à la rentrée, grâce aux fabuleuses capacités de Don.
J'ai préparé mes valises avec Alexis, ce jour-là. Elle m'avait apporté deux trois conneries, et dedans, un petit paquet, une lotion de teinture rousse.
▬ Pourquoi je deviendrais rousse ?
▬ Ils le sont tous là-bas.
▬ Mais nan tu délires.
▬ C'toi qui délire, c'est pour te fondre dans le décor, déjà que tu vas avoir du mal.Elle pose ses mains sur mon ventre encore plat, et m'embrasse sur la tempe. C'est un geste déstiné à me donner du courage, je pense.
▬ Allez. Petite Peggy deviendra grosse.Je pense que je les déteste tous. Même elle.
D'ailleurs, petite rectification : après avoir reçu, le jour de la rentrée, un message de Don, dit
« au lycée ils ont commencé à t'appeler Preggy », je peux juste dire que je les déteste tous. Même elle, tiens. Et surtout lui.