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 l'insoutenable légèreté de l'être. —myrtille

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Aaron Hamariliu
l'insoutenable légèreté de l'être. —myrtille Rangphy
Aaron Hamariliu

Messages : 87
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l'insoutenable légèreté de l'être. —myrtille Vide
MessageSujet: l'insoutenable légèreté de l'être. —myrtille   l'insoutenable légèreté de l'être. —myrtille Icon_minitimeMer 19 Déc - 23:49

THINK OF ALL THE STORIES
Parfois, Aaron se sentait vieux et con. Il jetait un coup d'oeil en arrière et retrouvait ses erreurs comme le jeu vicieux d'une toile que l'on aurait modifiée après son passage. Il semblait tellement calme et cohérent à l'époque, son système solaire. Ce n'était désormais plus qu'un immense fatras d'anachronismes, de couleurs qui ne s'accordaient plus, de collages mal rafistolés, de présences manquantes. Parfois, il se disait qu'il aurait pu -dû- faire plus. Il essayait de retrouver son sourire à travers deux ou trois brins d'herbe, apercevait cette feuille morte qui vibrait au coin de son oeil. Et soudain les souvenirs s'agrippaient à cette madeleine de Proust comme à un cordage millénaire et remontaient à l'abordage de son crâne, submergeant tout sur leur fracassant retour. Il se surprenait à espérer. Découvrait les regrets et très vite, s'efforçait de les balancer sur le bas-côté, se pinçait la chair élastique du dos de la main, et ça lui tordait les boyaux et ça lui bouchait les artères mais ça le faisait avancer. C'était ce qu'elle aurait voulu. Même si par moment, il avait du mal à respirer. Dans les étoiles, il y avait des morceaux de ses histoires et il essayait encore régulièrement d'accrocher quelques vaisseaux à la voûte céleste, loin, très loin. Il avait beau connaître cette parcelle de l'univers sur le bout des doigts, il y avait encore tellement ailleurs, les galaxies qu'elle avait inventées, l'invraisemblable planète à laquelle elle attribuait ses origines. Et paumés quelque part dans le vide intersidéral, qui voguaient éternellement au beau milieu des boules de gaz qui brillaient tellement plus fort lorsqu'elles se reflétaient sur ses lunettes et dans ses prunelles, il y avait les débris de ses rêves éclatés. Souvent, irrémédiablement, Aaron s'en voulait.

∆ ∆ ∆

La lettre lui était parvenue comme un poignard planté en plein poitrail. Au premier abord, reconnaissant l'écriture chérie, il s'était exclamé en profusions de joie, avait fait tout un foin de l'événement. Puis s'était éclipsé on ne savait trop où, probablement dans une de ces planques que l'on affectionne, gamin. Le genre de petit grotte creusée dans le corail fossilisé surplombant la plage où, à l'abri des regards indiscrets, il avait pu ouvrir l'enveloppe méticuleusement, comme un trésor à jalousement protéger. Les premières lignes avaient illuminé son visage d'une béatitude qu'on ne lui connaissait plus. Les derniers mots l'avaient tué d'une balle dans le gosier. À son retour, Aaron semblait avoir été soufflé par un uppercut fulgurant au plexus. Il avait le regard voilé d'une tristesse sans précédent, et s'était replié dans un silence obstiné. Une ride infime semblait être apparue au coin de son oeil, et même la gifle de Bev n'avait pu la déplier. Le lendemain, il avait soudainement agi. Malgré les remontrances pimentées, il avait laissé sans plus d'explication une fiancée fulminante aux soins de la famille sur Esperitu Santo, puis avait passé quelques coups de fil depuis l'aéroport où il venait de réserver un siège dans le premier vol pour l'Irlande. Il lui fallait annuler sa place dans l'équipe scientifique censée embarquer à bord de l'Ideal quelques semaines plus tard, affrété par la BBC pour un reportage au Mexique sur les grands blancs. Le brumeux "raisons personnelles" ne suffisant pas à justifier une décision si soudaine, il avait difficilement prononcé le mot "décès" avant de raccrocher, l'horreur lui écorchant la glotte. Il était resté un instant figé devant la cabine téléphonique, hésitant à terminer le second numéro qu'il était en train de composer. Son regard se noyait entre les chiffres griffonnés à la va-vite sur un papier déchiré. Finalement, la note insistante à l'autre bout du combiné eut raison de ses hésitations. Il enfouit le brouillon dans sa poche et s'éloigna à grandes enjambées vers la porte d'embarquement.

∆ ∆ ∆

Le taxi l'avait arrêté à une bonne heure de marche de l'école. En affrontant tant bien que mal la bise irlandaise, plié en deux dans son coupe-vent trop court, Aaron ruminait des pensées sans conclusions en un cercle vicieux qui, paradoxalement, allégèrent la durée du trajet. La grille d'Aisling était entre-ouverte. Il s'y faufila avec un vague salut de la tête au jardinier affairé un peu plus loin. L'herbe était humide, les nuages bas et lourds. L'air était chargé de cette mélancolie du nord qu'il avait jadis combattu avec tant d'acharnement. En l'occasion, ce temps triste et froid l'enveloppait dans une embrassade de vieille amitié, comme les briques de l'immense bâtiment, creusées ça et là par les intempéries, semblaient l'accueillir de mille chuchotements du passé. Il avisa un banc et s'y laissa tomber dans un affaissement fatigué. Le deuil lui creusait des cernes centenaires. Avec un grognement difficile, le vanuatais emmitouflé extirpa un paquet de feuillets cornés par l'âge du sac de sport constituant son seul bagage. Lorsqu'il délia la ficelle de raphia retenant le tout, quelques photos s'échappèrent du lot pour aller s'échouer dans l'herbe à ses pieds. Il les y laissa, parcourant du regard les miettes de vie qu'il avait reçues au fil des années. L'image la plus récente semblait avoir été prise quelque part dans le sud de l'Europe. Les sourires de la petite famille y scintillaient si fort que leur bonheur semblait éternel.
La belle illusion.
Encore une fois, il chiffonna le papier où était inscrit le contact de Balthazar entre ses doigts déjà frigorifiés. Il laissa échapper un long soupir, rauque, exténué ; et pour la première fois depuis plusieurs jours, Aaron put sentir la boule omniprésente dans son estomac remonter le long de sa trachée en un sanglot trop attendu.
THAT WE COULD'VE TOLD
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