and inside my room
she paints me blue again

Petit pas trottinant dans Aisling. Sourire mutin, presque innocent, ballerines blanches et chemisier à fleurs roses avec serre-tête assorti, la petite Haraldson arpentait les dortoirs des garçon, visiblement de très bonne humeur. C'était dimanche, c'était l'été, et c'était l'heure de s'amuser avec sa poupée préférée. Qu'est-ce qu'une gamine de quatorze ans aurait pu vouloir de mieux ? Un, deux, un, deux, comptait-elle dans sa tête en montant l'escalier. Elle s'arrêta enfin devant une porte et frappa trois coups brefs avant d'entrer dans la chambre.

▬ Mon petit Marc, regarde ce que je t'apporte !

Triomphante, elle brandissait un pot de coloration bleue pour cheveux.

Alertée par le fracas qui avait précédé, la psychique lança un regard suspicieux à son cadet lorsque celui-ci ouvrit la porte. Pyjama, cheveux en bataille et regard ensommeillé, rien de tout cela ne sortait de l'ordinaire : elle avait face à elle le mignon petit garçon auquel elle s'attendait. Un détail, néanmoins, finit par attirer le regard de l'Islandaise.

Sans prêter attention aux paroles du spécial, elle attrape sa main et la met bien à plat, révélant des égratignures toutes fraîches. Froncement de sourcils.

▬ Ah ! Tu es terrible mon petit Marc, je t'ai pourtant dit de faire attention !

Elle l'examine de haut en bas et de bas en haut, accordant une attention toute particulière à son visage, avant de lâcher sa main en haussant les épaules et de pénétrer dans la chambre.

▬ Tu sais bien que je ne tolère pas qu'on abîme mes poupées. Pourquoi crois-tu que je prenne ta défense contre ces brutes ? Certainement pas par simple affection, j'espère que tu le sais.

Elle jette un coup d'oeil rapide à la chambre, soupire, et se tourne vers le garçon avec un sourire et un air suffisant.

▬ Bon, et si on s'occupait de ces cheveux, mon petit Marc ?

all your hardness
all your softness
and your mercy.

Ah, il était vraiment mignon, son petit bonhomme. Si dévoué, si attentionné. Elle s'amuse de l'empressement avec lequel il reboutonne son pyjama. Et ce teint rosé qui pare ses joues, il lui va à merveille ! Le voilà qui s'inquiète au sujet de ses cheveux, et elle ne peut s'empêcher de le faire taire en posant un doigt sur les lèvres du garçon. Elle en serait presque mignonne, elle aussi.

▬ Ne t'en fais pas, j'ai tout prévu.

Elle montre un petit sac qu'elle porte en bandoulière, et en sort un spray pour les cheveux, des gants, des barrettes et un petit bol.

▬ Le spray devrait suffire à les mouiller. Vu que la couleur attaque le cheveu, j'ai pris quelque chose de fortifiant. Il faudra aller les rincer quelque part après, par contre.

Elle tira une chaise devant le bureau pour lui permettre de s'y asseoir, et commença à préparer la teinture dans le petit bol qu'elle avait apporté. Elle tourna la tête vers lui à sa remarque.

▬ Merci, j'aime bien cette robe aussi. Je te la ferai essayer un jour, si tu veux. Allez, viens t'asseoir.

Elle enfila ensuite les gants, en les faisant claquer sur son poignet, et regarda son cadet avec un sourire un peu inquiétant.

▬ Si tu souhaites ajouter quelque chose, c'est maintenant ou jamais. Sinon, c'est parti ! Ravivons un peu ces racines !

Never thought dollies came full grown
I'm gonna tie a ribbon around you
Wrap you up and take you home

C'est ça, reste bien sage. Assiez-toi où elle te dit de t'asseoir, tiens-toi bien droit, et surtout, garde bien ce gentil sourire docile. Elle aime ça, chez toi. Tu sais, c'est pour ça qu'elle est gentille avec toi, Lisandra. C'est parce que tu es joli comme une poupée, et qu'elle peut faire ce qu'elle veut de toi. Tu n'es rien qu'un joli pantin entre ses mains. Mais c'est pas toi qui irait la blâmer pour ça, parce que tu aimes bien qu'elle soit là à s'occuper de toi. Toi tu ne vois pas le rapport de force, la face viciée de la petite comédie que vous jouez. Toi, tout ce que tu vois, c'est qu'elle est gentille avec toi, et que tu l'aimes bien. Ta naïveté, Folio, c'est ce qu'elle chérit en toi. Elle veut te garder pur, et les seules mains à pouvoir te salir seront les siennes. Toi tu t'en fiches, tu aimes quand elle te fait des sourires et qu'elle t'appelle son petit Marc. C'est tout ce qui compte.

Elle est debout derrière toi, et elle applique consciencieusement la teinture sur les racines de tes cheveux, mèche par mèche. « Tu es aussi gentille que maman. » Elle ne répond pas, mais même Lisandra n'est pas totalement insensible à l'innocence d'un enfant. Elle n'est pas ta maman, et elle n'est pas gentille, tu sais. Et elle ne le sera jamais. Lisandra n'éprouve pas de remords vis-à-vis de ce petit être qui se livre à elle le sourire aux lèvres. Ça n'empêche pas un sourire un peu plus tendre que les autres de venir se loger sur ses jolies lèvres, profitant de ce que personne ne la voit.

Au bout de quelques instants, elle reposa le récipient qu'elle tenait dans la main gauche, retira ses gants pour les jeter dans la corbeille à papier, et admira son œuvre.

▬ Il n'y a plus qu'à attendre trente minutes que ça sèche, annonça-t-elle d'une voix enjouée.

I saw the devil at my door
I saw the devil she said
I can give you more

Des sentiments mitigés se faufilèrent dans l'esprit de la psychique quand son cadet se proposa innocemment de lui lire l'avenir. Que verrait-ils dans ses cartes et sa boule de cristal, en murmurant le nom de la Haraldson ? Y verrait-il gloire et succès, bien mal acquis ? Vivrait-elle en reine comme elle l'avait toujours rêvé, avec le monde à ses pieds, prêt à répondre à ses moindres caprices ? Ou y verrait-il plutôt la frustration, trahison et disgrâce, coups bas et coups fourrés ? Le revers de la médaille, les plaies criant vengeance, le triomphe du Bien sur son Mal ? Y verrait-il la noirceur de son âme et de sa vie, une vie de trafiquante, une vie de débauche et de vices, qui ne pouvait semer que dégoût et solitude ?

Mais la jeune fille chassa bien vite ces pensées maussades, préférant se concentrer sur le sourire du jeune garçon. Elle aimait la fierté qui se peignait sur son visage. Elle savait qu'il était fier du fait qu'elle soit là pour admirer son butin. Qu'il était fier de le lui montrer, à elle. Et cette fierté servait en fin de compte l'égo de la jeune fille.

▬ C'est une idée amusante, commenta-t-elle. Prends donc tes cartes, pour voir !

Elle l'invita à poursuivre sur sa lancée d'un geste de la main et, pour une fois, attendit des instructions de sa part.