Pour les autres, il y a se lever du bon ou du mauvais pied. Pour les autres, il y a le cri strident d'un réveil matin, la voix monotone d'un journaliste radio qui annonce la température du jour et qui enchaîne sur les dernières nouvelles à la une ou avec la chanson préférée du moment.
Pour Bree, il y a se réveiller complètement nue, à peine couverte par le drap, avec une poignée de dreads rugueux dans la main et ouvrir difficilement les yeux sur un plafond blanc, dans une pièce embrumée de sueur et de cigarette. Ce qui signifie, dans son cas, se lever du mauvais pied. Ce qui annonce une longue journée à endurer quelqu'un quelle méprise viscéralement, mais qu'elle ne peut s'empêcher de supporter pour toutes sortes de raisons compliquées. Pour trop de raisons, d'ailleurs.
Et tandis qu'elle tente de se démêler dans cette étreinte en apparence mièvre à souhaits (un bras serrant le sien, deux jambes coincées dans les siennes, un visage niché contre ses omoplates -comment fait-elle, celle-là, pour dormir de cette façon ?), elle se répète inlassablement en tête, à la façon d'un mantra, des beurk beurk beurk, en espérant que toute cette scène se volatilise lorsque les assauts encore persistants du sommeil la quitterait. Mais il n'en est rien au bout de quelques minutes à faire attention à ne pas bouger trop brusquement, à reposer ce bras, à repousser ces jambes et à enfin se libérer de se lit symbole de Satan à bénir d'une croix avec ses index.
Le seul bruit qui surgit soudainement, c'est celui des bouteilles de bière vides qu'elle botte des pieds sans faire attention, une fois levée, et qui s'entrechoquent et qui roulent n'importe où n'importe comment pour finalement s'échouer où elles le souhaitent bien, dans le coin d'un mur ou sous le lit.
Mince, tant pis.

Consciente de se livrer dans la gueule du loup toute habillée de nudité comme seule protection, consciente de sa mauvaise humeur et du danger qu'elle peut entraîner, elle agrippe l'épaule de sa visiteuse et la secoue sommairement, sans tendresse aucune, avec uniquement en tête ses beurk beurk beurk qui la pressent de trouver un exutoire au plus foutre vite.

▬ Allez, on se bouge.

Avec comme seule réponse un grognement de pacha et une tête qui s'enfouit sous un oreiller. Charmant. Mais ce n'est rien de grave, et voilà une Bree toute éveillée qui se précipite à la cuisine en passant devant le miroir grandeur nature accroché derrière la porte d'entrée. Qu'est-ce que les femmes sont moches au réveil, tiens. Avec ses yeux inexistants, sa mine décomposée, ses mèches éparses qui se dressent pêle-mêle une peu partout. Et ce chignon défait, cet élastique lousse qui, autrefois à ce qui lui semble être des années lumières, lui retenait les cheveux dans une étreinte parfaitement élégante et bien lissée et qui maintenant forme une espèce de... de... de matière grassement molle, toute tombante et horriblement... Moche. C'est l'unique mot ô combien élaboré qui lui vient à l'esprit. Un animal mort, peut-être un mammifère, elle ne saurait pas vraiment dire lequel exactement. Et de finalement consentir à placer ce chouchou hideux en maintenance à son poignet, histoire de rassurer quelque peut son amour-propre.
Elle se dit que les films sont bien ridicules à lui présenter des plastiques parfaites qui, au levé du lit, sont fraîches comme la rosée du matin. Elle, pour l'instant, se sent aussi fraîche que la bouteille de rosé qu'elle s'est enfilée la nuit dernière et qui repose maintenant sur le meuble d'ordinateur, presque vide.
À la cuisine, le chat minaude ses croquettes et ne se retourne même pas pour la gratifier de ses habituels miaulements matinaux. Décidément, la journée s'annonce étrange. Longue sans doute. Très certainement emmerdante. Mal, de surcroît.

▬ Gogo, je fais du café.

En s'approchant de la machine, obsédée par son rituelle, Bree attend que le chat se traîne jusqu'au comptoir avant de sortir deux tasses d'une armoire. Celui-ci, habilement dressé, lève la patte sur la cafetière comme pour la caresser et l'encourager dans son travail. Pour rappeler à sa maîtresse qu'il ne faut pas oublier de la mettre en marche, peut-être ? Sans doute juste pour montrer à quel point il est intelligent. Ou parce qu'il aime tout simplement le bruit de la machine qui lui rappelle vaguement celui de ses ronronnements. Peut-être que le chat voit en elle une partenaire, après tout. Les chat, franchement, sont bien étranges. Il suffit de les voir agir avec une olive pour comprendre qu'ils ne réfléchissent décidément pas rond.
Et d'ailleurs, dans un élan de bonté, Bridge se décide à sortir le pot du frigo, en même temps que le lait. Elle en lance une sur le comptoir, aussitôt interceptée par le félin qui se jette dessus, qui tombe par terre sans dignité et qui s'enfuit dans les toilettes, la joue contre le sol, en rase-mottes comme s'il ne faisait plus qu'un avec le parquet crasseux et tâché. Décidément, les chats sont vraiment étranges.
Elle en prend une, la secoue au-dessus de l'évier pour en égouter le vinaigre et l'avale directement. Affamée ? Peut-être. Ce sera son petit-déjeuner, aussi maigre soit-il. Cette seule olive. On ne vit pas nos plus beaux jours, parfois. Surtout aujourd'hui.