On ne voyait pas souvent Freyja bourrée. Du moins pas en public. Si l'on excluait la débandade cérébrale à laquelle il lui arrivait de se livrer en compagnie d'un albinos
encore plus bruyant qu'elle-même, Freyja était, contre toutes attentes, de ces filles qui savent se tenir. Toujours pompette juste comme il faut, les pommettes colorées, les genoux qui hésitent un peu, mais jamais dévastée. C'était dû à un savant mélange d'étude assidue de ses propres limites, d'attention particulière accordée à ce qu'elle consommait, à quel moment. En soirée, elle travaillait ; et en bonne concubine, perdre ses moyens, c'était laisser filer la clientèle.
Aussi le spectacle auquel assistaient les garçons présents dans leur dortoir cet après-midi-là était-il assez exceptionnel. Vêtue en tout et pour tout d'un T-shirt troué Snoopy® et du caleçon assorti -miteux, le caleçon- Freyja déambulait. Elle titubait d'un mur à l'autre en une valse comique, armée d'une bouteille de Bordeaux bien trop vide et d'un stiletto esseulé pendant à son index. Entre deux cognements, la néerlandaise écartait sa tignasse emmêlée en un piteux fatras, laissait échapper un rôt digne du plus rustre des conducteurs DAF, jetait un coup d'oeil vitreux aux numéros affichés sur les portes. Les regards et chuchotements vicieux s'égrenant à son passage dans l'entrebâillement de celles-ci ne semblait pas la gêner outre mesure. Tous les spectateurs s'empressèrent cependant de se replier en leurs demeures lorsque, venu du fond des viscères, la catin abîmée grogna un appel guttural, traînant.
CAAAÂÂÂÂLEEEEEEEEEEEEEEEEEB.Sur la dernière consonne, Freyja s'arrêta net face à un accès -par miracle, le bon-, manqua de se croûter lamentablement en jaugeant la distance à laquelle elle se trouvait, avala une grande inspiration, et.
D'un coup de pied aussi vif que brut, éclata le bois qui lui barrait le chemin.
La porte céda dans un claquement douloureux. Retrouvant tant bien que mal son équilibre, Freyja nota avec satisfaction les gonds mis à mal, lécha sans la moindre tenue les trois gouttes qui pendaient encore au goulot de sa compagne et s'engouffra dans le repaire assombri, vociférante, agressant au hasard la pénombre du talon aiguisé qu'elle tenait en arme à poing.
VIENS LÀ QUE J'TE PÈTE LES DENTS, RACLURE DE CHIOTTE.On ne voyait pas souvent Freyja énervée. C'était heureux.
ROT AWAY ; I WANT YOU DEAD