Une marche, il prenait son temps. À quoi bon se presser, puisqu'il n'était plus vraiment à ça près...? De toute façon, c'est devenu une habitude chez lui. Être réveillé sans aucune douceur par ce connard d'islandais chevelu et pervers, de manières diverses et variées, mais toujours avec une bonne dose d'obscénité. À se demander si il ne lui arrivait pas, au moins une fois par an, de penser à des petits oiseaux et des fleurs, ou à des licornes mangeant des arcs-en-ciel et chiant des papillons. Non, c'était pas possible, ça? Que ce jour bénit puisse exister, et de préférence en période de cours, pour que Ludvik le laisse profiter pleinement de son lit et être en retard jusqu'au bout? Oh, et puis en y réfléchissant, ça ne semblait pas si grave. Il se rendormait tout de suite après des menaces de castration vraiment menaçantes et un petit flot d'insultes prononcé d'une voix endormie, avec un visage qui s'enfonçait dans le délicieux coussin, son amant préféré.

Deux marches, il n'avait même pas mangé, en plus. Mais vu la gueule de son horloge biologique, ça aussi, ce n'était pas très grave. Quand on est branché sur le mode hibernation toute l'année, il y a bien un prix à payer, n'est-ce pas? Et puis le monde des rêves est moins terne, il faut l'avouer. Bon, parfois ça peut être franchement glauque, mais la plupart du temps, il a du fun. Alors après ça, l'hésitation entre une bonne assiette de charcuterie - oui, c'est pas très judaïque comme comportement, mais Juif s'en tape un peu, pour tout dire - et ce délicieux liquide d'un blanc immaculé... Non, pas de perversité, Juif a assez bien à faire avec cet obsédé de Ludvik, il n'a pas envie que vous vous y mettiez aussi. De toute façon, le lait c'est mieux. Et c'était ce qui pouvait constituer ses repas, comme ça avait été le cas présentement. Il y avait les nanas qui pensaient être sexy pour des sacs d'os en vomissant leur pauvre salade sans vinaigrette, mais Juif préférait toujours sa petite brique de lait, ça avait quand même plus de goût et de bienfaits sur l'organisme.

Trois marches, d'un pas traînant caractéristique, avec l'écharpe bleue enroulée autour du cou, la casquette vissée sur la tête, le regard un peu mort du type qui n'était pas tout à fait réveillé, la paille de sa brique de lait au bec. Toute son attitude criait qu'il ne voyait personne, n'entendait personne, et aurait préféré dormir encore un peu. Ce crétin, il était pourtant pas loin de 14h, et il allait encore sortir des excuses pourries au prof en ayant le culot de le regarder droit dans les yeux. "Pardon. Je me suis réveillé, mais j'ai préféré dormir encore un peu", "pardon, c'est à cause de la touche snooze."
Abruti de Juif, toujours à chercher la merde de manière tout à fait implicite. Et puis n'ayant rien à ajouter, il irait encore une fois s'installer à sa place pour s'écrouler sur son bureau et dormir. Et recevoir le regard agacé des gens sérieux, d'un prof désabusé. "C'est nul d'être sérieux."

Quatre marches, on aurait pu faire quelque chose de lui, en plus. C'est juste lui qui ne voulait pas. Et sa tactique était vicieuse, planter fermement les talons dans le sol en prenant l'air le plus passif possible, à croire que rien ne le concernait vraiment. Pas même les regards ou les murmures, encore des oui-dires à deux balles à son sujet. Autant ne rien voir, ne rien écouter, ne pas faire attention. C'était trop fatiguant.
Et puis son épaule rencontra celle d'une blonde platine. Coupe au carré et œil plein de curiosité. Czes se dit que la vie était une pute, parfois.

Czes n'aimait pas spécialement croiser des gens, dans les couloirs, quoiqu'il n'eut pas vraiment le choix. C'était ennuyeux, de les entendre discuter de tout et de rien. Surtout de rien, en fait, puisque l'une de ses rares prétentions était de s'efforcer d'avoir des discussions intelligentes. Sauf quand ça concernait Ludvik, Mihail, ou les Survival Horror. Cette exception mise à part, il était très content quand il pouvait faire son nerd pas très utile. Mais sérieusement, entendre parler du dernier navet sortit en salle, ou de ces émissions de télé-réalité stupides, ça lui inspirait plus de la pitié qu'autre chose. Les gens n'avaient donc rien de mieux à faire?
Tout ça pour dire que, quand il s'agissait de se la jouer autiste du coin, Czeslaw était votre homme, juste pour ne pas entendre les autres. Et du type silencieux, l'idée de respecter les conventions sociales en souriant d'un air aimable travaillé, de balancer un "salut" à la volée, voilà une chose qui était fort agaçante pour lui. Enfin, il fallait être honnête, pourquoi saluer une personne dont on pourrait penser du mal en même temps? Sérieusement, il n'avait pas non plus envie de perdre son temps à se moquer du monde.

Il le faisait bien assez comme ça, avec ses manières étranges et son excentricité couverte. Ne saisissant pas tout de suite qu'il avait bousculé quelqu'un, il se stoppa lentement, et se tourna tout aussi lentement. Avant de se sentir véritablement attaqué par surprise. Bon sang, c'était quoi ce débit de parole? Ce fait l'avait interpellé avant même que les paroles n'atteignent vraiment son cerveau pour y faire sens.

-... Pard... Attends. Quoi?

Perdu Juif était, alors que les mots de la blonde étaient montés des genoux pour arriver à un cerveau pas encore tout à fait éveillé. Prit de court et encore un peu dans les choux, ou complètement à l'ouest, tout dépendant du point de vue, il eut l'espace d'une seconde une folle envie de lui répliquer qu'il assumait tout à fait le fait de ne ressembler à rien, et que son don la baisait bien profondément. Mais une information provoqua un arrêt sur image pour l'ouverture d'un petit théâtre mental.

Petite gamine blonde inconnue au bataillon rencontre juif polonais et borgne mal réveillé et passablement en retard. Petite gamine blonde inconnue au bataillon s'adresse à juif polonais et borgne d'une manière très familière et avec un débit trop rapide pour un mec tombé du lit. Petite gamine blonde inconnue au bataillon pose une question mais enchaine dans la seconde sur le don de juif polonais et borgne, avant de n'oser mentionner son cache-œil. Hahaha, la connasse.
Czes, visualisant des schémas colorés dignes d'un enfant de 4 ans, se dit que Ludvik avait définitivement une mauvaise influence sur lui. Mais c'était pas très grave, il fallait d'abord répondre à petite gamine blonde inconnue au bataillon. Ah non, il fallait d'abord que la marche lui lâche la main. Prenant un livre de son sac ouvert, il colla un bon coup sur la marche, qui recracha son repas en râlant.

- Euh ouais. Tu sais quoi, je vais d'abord te faire une liste des trucs à éviter dans les escaliers, ça te cassera pas ton effet quand t'agressera verbalement les gens comme tu viens de le faire. Un peu de crédibilité, ça fait de mal à personne.

Ne se rendant pas compte de l'insolence de ses mots - ou s'en fichant royalement, au choix -, il rangea son livre, puis arracha une page de son agenda et y griffonna rapidement tout les dangers à éviter dans les escaliers, avant de tendre la feuille à Bethsabée. Remontant son écharpe devant son visage, il détourné un instant le regard, se demandant sans le cacher si il devait lui répondre où non. Que ce soit pour la direction demandée ou pour le reste.

Ç'aurait été amusant de la planter là, d'autant plus qu'elle avait abordé le sujet qui fâche en une seconde. Mais la foutre bien en retard, elle qui avait un beau cartable et des vêtements bien propres, ça touchait plus à l'emmerdement maximum. Et Czes étant ce qu'il était, il ne pouvait pas manquer d'aller faire un peu chier une gamine qui avait tout de l'élève bien soignée et studieuse. Rien à voir avec lui, en somme. De toute manière, dans son cas, il n'était plus à ça près et les profs réagissaient plus pour la forme que par vraie colère. Quand on était capable de les regarder droit dans les yeux en leur servant l'excuse la plus pourrie qui existe, pour ensuite retourner au pays des rêves, il y avait de quoi être blasé.

- Tu serais déjà loin, si j'avais utilisé mon don. Et m'en servir dans une telle circonstance n'a rien d'intéressant... Sauf si tu veux battre Usain Bolt en arrivant en cours trèèèèès vite. La salle d'histoire est à l'étage, au fait. Te fais pas bouffer par une autre marche, hein, tu te démerdes si c'est le cas.

L'option prise fut d'ignorer superbement l'interrogation au sujet du bandeau. Merde. Ça regardait personne, ça. Ce fut donc après des paroles assez sèches, prononcées avec culot d'une voix traînante et étouffée, que Czes envisagea de continuer sa route. Sans savoir à qui il avait affaire, bien entendu. Pas normal pour lui de se faire aborder de cette manière, il ne se sentait pas très à l'aise, quoique son attitude nonchalante ne le montrât pas.

Bethsabée Morgase Belinski, dont je prend la peine de citer l'ensemble des nominatifs est prénominatifs pour l'occasion, et bien, elle n'avait certainement aucune prétention. Non, sincèrement, elle aurait pu en avoir, elle aurait pu être sacrément fier, au hasard, que ses initiales soient celles des Belgium Mountains Bikers ainsi que d'une société de vente d'équipement sanitaire, seulement, Betty, BMB ( au passage, on peut aussi considérer que ces trois lettres sont simplement pour " bête meuf blonde " m'enfin je m'égare ) n'avait pas d'orgueil particulier. D'abord, à force de googler " péchés capitaux ", elle avait lu de la propagande religieuse qui disait que : a) tu ne tueras pas ton prochain, c'est vilain, b) pour aller au paradis il faut se taper une bonne grosse lecture de plusieurs milliers de pages, et enfin c) le mal, c'est vraiment pas bien. D'une autre part, vous même le savez, elle est déjà assez pénible comme ça. Beth contente d'elle, ce serait... Apocalyptique? Un meurtre? Une nouvelle statistique sur le taux de suicide? Une chanson de Cindy Saunders sur haut-parleur? Pas si grave? A vous de juger. Toujours est il que notre brave russe n'était pas le genre à dire qu'elle avait fait quelque chose de bien. Elle préférait largement s'épancher sur les stupidités qui ponctuaient son quotidien. Le malheur adorant qu'on l'appelle, plus elle parlait, plus elle allait dans des situations impossibles, plus elle avait de choses à dire, plus elle était dans des cercles vicieux. Et le vice, c'est comme le mal, c'est mal.
Vous suivez toujours? Vous avez les neurones en bouillie? Vous vous moquez de la psychologie et souhaitez de l'action, là maintenant?
Vous pouvez dire merci au juif héroïque qui vient de sauver la méchante du ridicule. La plaisanterie, mec, cette gamine, le don qui l'a amené à Aisling, c'est celui de s'attirer des problèmes. Pas l'autre don qui lui permet de ne pas appeler les gens par leurs prénoms, mais par des sobriquets aussi mignons que "rongeur", "clown", ou, plus respectueusement " maitresse du feu ", sans éprouver une once, une dose infime de scrupule. Oh. OH. On dirait que finalement, t'es pas si héroïque que ça. En général, d'abord tu lui dis " Bonjour petite fille, tu veux un bonbon? tu montes dans ma limousine noire vitrée dont tu ne connais pas la destination? " avant de la jeter. C'est le principe des objets biodégradables. Certains aime tellement l'idée qu'ils achètent des gadgets juste pour les biodégrader. Ah, le plaisir de l'écologie et, ah, le plaisir de la petite répartie piquante du matin - quoi, il est 14h? - avant la sieste. En fait, mec. Toi, et moi, sans la future miss Vodka, on peut avoir une conversation sur ce que tu viens de faire? Non, pas taper la marche innocente qui ne faisait que son devoir de secours à borgne en danger. Non, plutôt parler des effets de Bethsabée. Sois c'est un lapsus, mec, sois tu es... trop gentil. C'est pas un effet, qu'elle t'a offert. C'est un retourné et une chute double boucle piqué façon blinis raté. PUIS MINCE ! N'en rajoute pas dans la gentillesse. Tu n'avais pas envie de l'observer... attend que je regarde cette feuille... La regarder se faire manger les ongles par la rampe? Pour enchainer sur le spectacle de la marche voleuse la dépouillant de son uniforme pas si neuf que ça?

- Merci. C'est gentil. Pour la crédibilité, j'essaye vraiment mais...

Dieu merci, elle a arrêté là. Dieu, merci de lui envoyer un peu de bon sens de temps en temps. Je vais quand même finir la phrase, le suspens c'est comme les lap dance, c'est trop cher pour ce que c'est. Donc, apprenez que Bethsabée, elle essaye très fort mais elle est diabétique, alors le stress c'est mauvais pour elle. D'ailleurs, courir c'est aussi un peu con-con dans son cas. Fais comme le mec. Fais breveter l'idée de la sieste obligatoire pour l'ordre publique. Rend toi utile, pauvre chose, ce sera toujours meilleur que de rechercher à la bibliothèque qui est venu avant, du phy ou du psy ( surtout qu'il n'est pas exclu que les spé se soient incrustés avant en douce, ce qui fout certaines théories en l'air ). Bref. Betty, là, tu reçois un bon point pour bonne conduite, mais ça ne t'avances pas dans ta démarche d'élève irréprochable ( un peu titubante néanmoins, l'intello junior. on sens la futur alcoolo de prépa math, me trompe-je?). Allez, mec. Crache le morceau. Tu es vieux, tu es borgne, tu sens bon le sommeil X-tra long, tu n'iras pas mettre la chose fragile sous tes... hum, ton oeil, en retard? Si. SI? Doit-elle faire les yeux du chat potté? Elle sait faire, je te rassure, elle a regardé une vidéo explicative et a fait des tests sur chatroulette.
Heureusement que tu appliques la technique du changement de plan, toi. On pourra devenir pote. Je suis sure qu'on peut faire un club de gens qui aiment troller sur les blondes. Blagues de blondes > blagues de borgne. Je passerais l'éponge sur le fait que tu menaces ma victime favorite, parce que c'est très bête. Agite une carotte sous les yeux d'un âne ( ou d'une ânesse, mais betty est un âne. Enfin une race ou la femelle est moins inutile que le mâle ) et tu le verras sauter la marche chatouilleuse, la marche pleureuse, atterir sur la marche portée sur la chose - pour info, elle caresse un peu celle-ci - pour te déclamer, le plus innocemment que possible une tirade de ce genre. Quoi que. Les ânes font hihan, c'est moins saoulant que les vrais mots.

- L'étage? Comment ça l'étage? Tu sais combien de salle il y a la haut? Non? Quant à ce don, je t'en prie. Une bonne course c'est formidable pour ce que j'ai, en général ça consomme en calorie la valeur de deux verres de lait entier ! J'ai soixante minutes de retard et...

Et la mauvaise habitude de t'arrêter ! J'avais dis tirade ! Maintenant il faut que tu tires un carré de sucre de ta poche pour ne surtout pas faire anorexique. Ou diabétique, au choix.
Mec, show must go on, je te conseilles la méthode Freddy Mercury pour l'achever. C'est à dire évoquer des choses de préférences bisexuelles, trop violente pour son âge et une démarche ambigue pour la repousser. Sinon, fais ce qu'elle te demande. Sauf si ça te déshonore. L'honneur, c'est comme la crédibilité, ça se fait rare dans notre monde.

Czeslaw, avec sa mauvaise habitude d'observer les gens, de les jauger au cours de ce qui peut-être vu comme une forme de harcèlement, alors qu'il était juste désireux de satisfaire une curiosité personnelle pas forcément bien placée. C'était entre l'amusement et l'envie de voir si les hypothèses qu'il se proposait étaient vérifiées, et ça pouvait toucher n'importe quoi. Au fond, ça trompait l'ennui, ça tranchait net la monotonie, c'était juste un aperçu de ce qui semblait être le seul véritable aspect que l'on pouvait qualifier de bizarre, chez Czes. Pas forcément un besoin narcissique à satisfaire d'une façon singulière, ç'aurait été un contre-sens que de prendre la chose ainsi, mais il était clair que le côté "je suis plus intelligent que toi" y trouvait une petite place. La seule chose triste de l'histoire était qu'on ne pouvait pas non plus affirmer le contraire.

Et pourtant, il était pas méchant, l'animal. Il se contentait de viser juste, ça lui suffisait bien. Pour le reste, se laisser porter par le flot et se donner l'air de vivoter dans son coin. Un jour, Czes coulera, de toute manière, c'est écrit. Avec de telles manières, il ne mériterait même d'avoir la tête hors de l'eau, et puis sa joueuse est une vilaine qui aime les vilains curieux. Pas de chance pour lui, il aurait pu tomber sur quelqu'un de plus clément.
Oh, et puis Juif, il lui arrivait aussi d'être bête, la rencontre avec la blonde, l'inconnue de l'équation du jour, en était une preuve criante. Il était juste gentil, ou alors il avait pitié d'une nouvelle qui s'était faite piéger, comme lui quelques années plus tôt.
Alors que la miss dégainait un sucre, il sortit une brique de lait de l'intérieur de sa veste, planta sa paille dans la petite opercule et bu deux gorgées. Ça détendait un peu, et ça l'empêchait de se moquer.

Ou pas.

- ... Mais. T'as même pas marqué les classes correspondantes aux cours, sur ton emploi du temps?

Oui, le pragmatisme, c'était vraiment une qualité que tout le monde se devait d'avoir. Alors non content d'aller voler en douceur dans les plumes d'une parfaite inconnue, il en rajoutait une couche en mettant en évidence la stupidité de la situation, et le manque de discernement de sa victime du moment.
Ah, ce Czes, ce qu'il pouvait être blasant.
Puis il considéra une nouvelle fois l'heure. Bon. Autant se la jouer Prince Charmant de carnaval jusqu'au bout, après le sauvetage pseudo-héroïque la mission était décidée, il allait l'aider à trouver sa classe. Pas que l'envie de se la coltiner lui titillait les neurones - et il ne savait même pas quelle classe ce pouvait être, quoique la déduction soit son fort, mais il la trouvait plutôt drôle, tout compte fait. Alors à être en retard, autant l'être dans la joie et la bonne humeur. Et le divertissement.

Emmerdant donc profondément Pascal et son problème avec la dernière activité susnommée, il ne prit peut-être pas la peine de sourire, mais lui fit part de son idée.

- Tu sais quoi? J'vais t'accompagner, j'ai rien de mieux à faire. Et puis comme ça, je te montrerai les marches à éviter en même temps.

Une fois ceci dit, notre bon Juif reprit sa marche, en enjoignant Bethsabée de le suivre.

Ce n'était pas vraiment dans les habitudes de Czes d'aimer les autres. Enfin, tout était paradoxal. Enfin, il faisait surtout à la tête, en fait, comme un petit con. Il se plaisait à victimiser un bon coup un parfait inconnu, parce qu'il lui trouvait un air de parfait soumis. Il se plaisait à aller chercher la petite bête, tout en douceur, de la façon la plus insidieuse possible, ne serait-ce que pour faire durer le plaisir. Et les limites? Hum, elles venaient en second plan, comme une pauvre apparition en filigrane. Mais si on faisait attention, on pouvait les voir. Et tenter de les repousser, toujours un peu plus, vérifier jusqu'où on était capable de vraiment aller. Gratter doucement le vernis bien composé, surtout, c'était sans aucun doute la chose la plus jouissive, parce que ça revenait à leur coller un bon coup de pied au cul, et quel plaisir à botter ce genre de petit cul.

Et puis il y avait les élus, ceux qu'il avait décidé d'apprécier pour des raisons plus ou moins obscures. Parfois, c'était une de ses victimes, qu'il avait estimé à son goût, le genre qui avait su sortir les bouffonneries à la convenance du seigneur Juif. Alors après avoir poussé mentalement du doigt, après avoir bousculé verbalement, après avoir attaqué à coups de verbiages bien ajustés, il donnait simplement une brique de lait, et s'en allait tout satisfait. Et c'était là le pire, de laisser une victime gratuite dans le noir, avec un visage ne montrant tout simplement rien. Mais c'était là la plus belle tactique du tortionnaire de bac à sable, celle de ne pas laisser l'autre croire que la partie était gagnée. Trop facile de se monter la tête et se croire puissant, alors que l'inconfort du doute et la soumission en résultant assuraient une prise plus assurée sur la victime. Il pouvait bien la mener comme il le voulait, à croire que c'en était devenu une pauvre bête de somme, un pauvre bouffon du roi, de ceux qui se retrouvent réduits à rien aux yeux - à l'œil plutôt - d'un foutu juif de merde.

Bethsabée pouvait donc s'estimer heureuse de ressortir indemne - mais ce n'était pas comme si Czeslaw s'était spécialement montré agressif, elle avait fait son petit spectacle toute seule. Mais elle était aussi en droit de grogner, parce qu'elle s'était quand même un peu fait avoir. Enfin, Czes le Bon Roi prit quand même la peine d'écouter son petit trublion du moment, sentant monter en lui un sentiment certain d'appréciation. Alors son pas déjà assez traînant ralentit une nouvelle fois, à croire que la lenteur était redécouverte par le gaillard, et il se retourna sans bruit pour reluquer froidement Blondie.
Freaky avait décidé de s'attarder sur son cas et de réfléchir un peu plus. Ou plutôt, l'idée de devoir se trimballer une gamine paumée et dans les vappes dans ces foutus escaliers n'avait juste rien pour l'enchanter. Le regard partant sur le côté dans un mime de personne entrain d'hésiter, il fit glisser son sac, l'ouvrit et fouilla rapidement dedans pour en sortir une brique de lait, cette brique même qu'il tendit à la russe.

- Prends ça avec ton sucre, là.

Et l'ascension reprit en douceur, ponctuée par la voix quelque peu traînante, et surtout éteinte, d'un Czes qui donnait des indications sur un ton plutôt sec et déstabilisant. Parce que justement il ne semblait pas sec, et avait même l'air plutôt doux avec sa voix, mais on sentait clairement que ça fonctionnait sur le principe du "tu ne poses pas de questions tu exécute ma petite."
Avec parfois des remarques un peu acerbes, aussi, sinon le trajet perdait tout son charme. "T'accroche pas, la rampe va te mordre", "ah ben avec ton diabète, t'es pas prête d'arriver à l'heure en cours, hein", "si tu veux, je peux t'apprendre à dire des excuses pourries en regardant le prof dans le blanc des yeux. Sa tête est marrante à voir, en plus."

Un vrai bonheur, en somme, que de passer quelques minutes - une vingtaine, peut-être - en compagnie d'un gars pareil. Ah, vraiment, il ne manquait plus que le thé, les petits gâteaux, et le tas de mémés médisantes et prétentieuses pour compléter le tableau, avec en plein milieu cet espèce d'oiseau ou de chat, un on-ne-sait-trop-quoi noir à l'air profondément ennuyé. Une noiraude qui se voulait discrète mais faisait toujours terriblement tâche en fait.
Oui, c'était ça, sans doute. Un drôle d'oiseau de malheur, sans qu'il le soit vraiment. Celui qui ferme bien sa gueule et suit le truc, pour sortir la bonne phrase au bon moment, celle qui explose l'ambiance et calme tout le monde immédiatement. Celle qui jette un froid avant de provoquer l'énervement, à s'en arracher les cheveux. C'était juste trop facile de se tapir dans l'ombre et de surgir d'un coup pour effectuer une morsure venimeuse sur la proie. Mais sans s'en rendre tout à fait compte, ils arrivaient au bout du chemin, restait à marcher dans les couloirs. Ou à laisser à son sort la damoiselle en détresse. Au choix.