En fait, c'était un jour comme les autres. En se réveillant, Sully savait que le soleil brillait dans le ciel, qu'il se coucherait le soir, et qu'il reparaîtrait le lendemain. C'était une pensée récurrente du rouquin, qui aimait à prendre la vie comme elle venait, comme on prend une bouffée d'air frais en inspirant bien fort, comme on pose un pied devant l'autre pour avancer, comme on ouvre les bras pour accueillir ce qui vient à soi. Tous les matins, il aimait saluer la journée à venir. Encore une autre. Mais il ne s'en lassait pas : Sully était avide de journées à vivre, de levers et de couchers de soleils. C'était ça, la vie. Une succession d'instants, de jours et de nuits. Il ne les voyait pas s'enfuir, il attendait toujours un peu la suite, parce qu'il vivait avec des rêves plein le cœur, il vivait comme l'espoir.

Et pourtant, cette journée était spéciale, il le savait. Il la passa tourné vers la suite, à attendre que le jour décline : le soir même devait avoir lieu le bal du nouvel an d'Aisling. Tout le campus était en effervescence. On ne parlait que de cela depuis le début des vacances. Enfin, l'heure du bal approchait. Le jeune psychique fit un détour par sa chambre afin de se munir du bracelet de protection que McAllistair lui avait donné le matin même : un bracelet usagé n'avait aucune chance de tenir bon lors d'une soirée pareille, et l'adolescent ne le supporterait si son bracelet se brisait ce soir. Il réajusta son nœud papillon et s'élança en direction de la salle Dalach, le sourire aux lèvres.

Il distribuait des sourires, des saluts, des bonsoir, tout en se faufilant parmi les élèves. Quelque chose l’enivrait, il n'aurait su dire si c'était l'ambiance festive, qui lui rappelait les dîners que ses parents organisaient parfois à la maison ; les robes, les bijoux, les costumes, les verres, la salle. Ou si c'était simplement de voir tout ce monde réuni, pour une fois, cette bonne humeur qui flottait dans l'air, l'excitation, l'impatience, l'admiration. C'était beau, et le petit Smile étouffait ce sentiment d'inquiétude, guttural, qui frémissait quelque part au fond de son cœur. La foule. C'était plus fort que lui, ça l'impressionnait. C'était devenu une sorte d'instinct. Mais il n'avait rien à craindre ce soir. Tout se passerait bien. Ça devait bien se passer. Il ne voulait que des rires et des sourires, et une fin de conte de fée.

C'est alors qu'il la vit, un peu à l'écart de la piste, dans sa belle robe violette, bustier, un peu nerveuse. Sa cavalière, sa meilleure amie, celle avec qui il prenait peut-être le moins de précautions, parce qu'il la savait assez forte pour sourire sans son aide, celle qui l'aidait parfois à garder de moral, les jours où il était fatigué. Celle qu'il aimait faire rire, râler aussi, parfois, et qu'il taquinait sans mesure. Elle s'était faite belle pour ce soir, plus féminine que jamais. Le garçon s'approcha et lui décocha un sourire radieux en esquissant une discrète révérence.


Lueur malicieuse au fond du regard, teinté d'une douceur et d'une affection sincères. Il savait qu'il l'avait rendue nerveuse, au sujet de cette soirée. Les bals et les jolies robes, elle n'avait pas l'habitude. Elle avait probablement peur de ne pas être à la hauteur, de faire une erreur, peur du jugement des autres, de celui de son cavalier. C'était une gentille idiote. Idiote de s'inquiéter des critiques, quand on n'avait que des compliments à lui faire.