IIls avaient dansé un long moment avant de faire face à la mer. Il y avait eu une valse, des chansons interprétées par les élèves de l’école, des morceaux classiques qui se partageaient à deux. Dante avait d’abord été réticent mais Yue lui avait un peu forcé la main et il s’était finalement laissé prendre au jeu, abandonnant sa responsabilité au bar. Alors la musique les avait emportés et des rires s’étaient échappés, parfois de gêne, parfois d’amusement du à leur légère maladresse. Ils avaient rougis aussi, Dante d’embarras et Yue d’attendrissement. Il avait posé sa tête contre sa poitrine lors d’un slow puis s’était laissé entraîner par ses mouvements en rêvassant. L’autre grommelait parfois alors il posait son index contre ses lèvres pour lui indiquer de se taire et de ne pas gâcher ce moment, ou bien lui jetait simplement un regard réprobateur qui en disait long sur ce qu’il pensait. De temps à autres ils se séparaient pour aller boire un verre et voir d’autres personnes, se défoulant sur des rythmes plus effrénés chacun de leur côtés. Mais Yue revenait vite auprès de son partenaire et lui agrippait le bas dans un élan de jalousie tandis que sa possessivité reprenait le dessus, foudroyant du regard quiconque osait l’approcher d’un peu trop près. Il aurait aimé que le monde entier sache que rien que pour cette nuit il était à lui et qu’il était le seul à pouvoir l’embrasser à la volée, le seul à pouvoir s’imprégner de ses yeux émeraude. Il aurait aimé être marqué par un de ses baisers comme à l’indélébile pour pouvoir montrer aux autres que lui connaissait le goût de ses lèvres, l’odeur de son parfum et la douceur de sa peau. Que lui s’était oublié au creux de ses bras dont il avait si souvent épousé la forme et qu’il l’avait vu rire, parfois sourire, mais aussi pleurer. Il aurait aimé leur crier qu’ils ne se rendaient pas compte de la chance qu’ils avaient de le côtoyer, à quel point il était une personne en or, et qu’ils ne savaient même pas qui il était vraiment. Car Yue avait su aller plus loin que ce que tout le monde voyait et lui aussi s’était dévoilé à cœur ouvert, lui accordant sa confiance comme à personne. Et Dante lui avait toujours tendu la main quand il en avait besoin, tout comme lui aurait pu se damner s’il le lui avait demandé.

Alors Yue avait fini par l’entraîner sur la plage, affrontant le froid de l’extérieur pour pouvoir se retrouver seul avec lui et l’océan. Il lui avait dit vouloir s’isoler un peu pour mieux lui parler et pour pouvoir profiter encore un peu de sa présence même s’ils étaient loin de l’établissement. S’ils regardaient au loin ils pouvaient cependant distinguer quelques lumières, mais il était impossible d’entendre le brouhaha général ni la musique jouée par l’orchestre. Et ce n’était pas plus mal. Yue avait pris Dante par la main en s’approchant du rivage et il avait levé la tête vers le ciel, scrutant le noir profond tout en s’enivrant de l’odeur de la mer. Alors il ferma les yeux et un léger sourire étira le coin de ses lèvres, son pouce allant tendrement caresser la peau du Physique.

▬ C’est calme par ici.

Il se permit seulement maintenant de souffler un peu et d’afficher une attitude plus sereine, plus intime. Jamais il n’aurait voulu que les autres le voient ainsi avec Lui, jugeant la chose bien trop ridicule et trop clichée pour un bal de fin d’année. Pourtant Yue ne faisait pas cela parce que c’était le bal ; pour lui il s’agissait d’un moment parmi tant d’autres dans lequel il désirait sentir sa compagnie sans qu’il ait à se retenir dans ses gestes. Là il pouvait se permettre de faire tomber sa fierté et de se montrer tel qu’il était vraiment, abandonnant enfin toute son agressivité et son égoïsme passé. Tout ce qu’il demandait c’était de pouvoir passer du temps seul avec Dante sans que les autres viennent leur jeter des œillades indiscrètes, comme s’ils étaient coupés du monde et plongés dans un petit nid douillet. Ces moments étaient rares. Ils lui appartenaient. Personne n’avait le droit de s’y immiscer ; il les chérissait bien trop pour ça.

Il posa doucement sa tête sur son épaule pendant quelques minutes avant de tourner les yeux vers lui, puis, furtivement, pivota pour lui faire face. Il avait posé son autre main dans son dos et son bras enserrait étroitement sa taille tandis que ses doigts s’emmêlèrent dans ses cheveux roux. Il l’admira.

▬ Tu es magnifique ce soir.

Il caressa sa joue, effleura ses lèvres avec son pouce. Puis il fouilla dans sa poche et en ressortit une chaine en argent au bout de laquelle pendait une petite cuillère enroulée sur elle-même de façon à former une bague, avant d’ouvrir son fermoir et de la passer autour de son cou. Il profita de cette proximité pour attraper ses lèvres entre les siennes alors qu’il refermait le collier, se grisant du léger goût sucré qu’elles portaient. Il finit par s’en détacher pour observer le résultat et ne put s’empêcher de rire, trouvant le résultat franchement cocasse dans une telle situation.

▬Je n’ai pas pu m’en empêcher. Quand j’ai vu ça j’ai immédiatement pensé à toi.

Ou la magie d’une première rencontre qui avait changé le cours d’une vie. Parfois Yue se demandait si Dante se rendait compte de tout le bien qu’il lui avait apporté et à quel point il lui avait permis d’avancer. Bien sûr, la souffrance et la douleur y étaient proportionnelle mais qu’est-ce que cela représentait en comparaison avec tous ces moments heureux qu’il passait ? Il y avait toujours la crainte de le voir partir, cette boule en ventre quand il le savait dans les draps d’un autre, cette envie de vomir quand il se disait que dans un an tout serait peut être terminé. Mais comment l’oublier ? Au fond de lui Yue n’avait pas peur parce qu’il savait qu’il n’en serait pas ainsi. Il n’avait pas besoin d’être prescient pour le savoir même si cela ne faisait que confirmer ses doutes. Mais de se dire que « ça aurait pu » était peut être encore plus douloureux et lui faisait réaliser à quel point les liens les plus précieux ne tenaient qu’à un fil. Fil qui dans son cas était aussi robuste que la pierre et que personne ne pourrait parvenir à couper. Non, jamais Yue ne s’éloignerait de lui éternellement. Jamais. Parce qu’il avait été celui qui l’avait relevé, celui qui l’avait fait réagir sans jamais baisser les bras, et celui qui avait réussi à lui rendre un brin d’estime pour lui-même. Mais surtout Dante était celui qui avait fait la promesse de ne jamais rompre contact et de toujours laisser sa porte grande ouverte pour quand il viendrait. Et cette simple idée réconfortait Yue qui se disait qu’il pourrait toujours se blottir contre lui pour retrouver sa chaleur si jamais ça n’allait plus, et qu’il avait la chance exceptionnelle de connaître quelqu’un pour qui son estime était incomparable malgré tout ce qu’il pouvait lui faire endurer. Et par-dessus tout, Dante lui avait appris à aimer et à ne plus avoir peur.

▬ Tu entends la mélodie de l’eau ? On dirait une valse. A croire que ce soir le monde entier s’est mis aux couleurs du bal !

Nouveau sourire. Tendre, amusé. Alors il lui reprit la main, la souleva à hauteur de son buste et noya son regard dans le sien.

▬ Tu m’accordes une dernière danse ?

Et surtout, laisse-moi couler avec toi.