Edward, en premier, on pourra dire qu’il est légèrement hautain et méprisant. Je pense aussi qu’il s’agit d’un euphémisme. Son problème, ce sont les relations humaines. Il est au dessus de tous, du moins dans sa conception pyramidale d’une possible hiérarchie humaine préexistante. Depuis tout petit, il considère que les autres, ce sont des moins que rien, et qu’ils ne méritent que son rire. Il n’est effectivement pas difficile de faire sourire ce brun. Cela signifie juste qu’il se moque de vous, qu’il vous trouve tellement pitoyable que ça en devient amusant. Du coup, on pourrait presque croire que c’est nerveux chez lui.

Faut pas non plus penser que c’est comme ça avec tout le monde. Parce que ce qu’Edward aime, c’est la culture. Et il s’entend parfaitement bien avec les gens cultivés. Que voulez vous, il a vécu dans une famille de riches, il avait des professeurs particuliers, et sa seule distraction c’était de lire tout ce qui lui tombait sous la main pendant qu’on lui apprenait qu’ils existaient des êtres humains naturellement plus doués que les autres et qu’il était au dessus de tous. Il est cependant vrai qu’il s’agit d’un véritable génie, possédant une pure mémoire photographique. Chaque chose qu’il lit, ou qu’il voit, se retrouve encré dans son esprit, et il peut vous réciter la page entière d’un livre ou redécrire une image avec la plus grande précision. Si seulement il se servait de ça pour aider les gens en difficulté plutôt que de les enfoncer dans leur soi-disant médiocrité, il se ferait un tas d’amis. Dommage qu’il n’en veuille pas.

Comme vous l’avez compris, Edward, il adore la connaissance, et il veut tout savoir. Être ignorant l’insupporte. Sauf que, il a vécu isolé de tous pendant quatorze ans de sa vie. La culture populaire, il n’y connait rien. La culture des personnes de son âge. Un jeu vidéo ? C’est quoi ça ? Une musique autre que celle de ses parents ? Des livres où chaque phrase ne fait pas cinq lignes minimum ? Une télé, ça s’allume comment ? Bon, peut-être que j’exagère très légèrement, mais c’est comme s’il vous débarquait d’une autre planète. Et il parle comme un vieux bourge, avec des phrases super bien tournées, un langage soutenu, et un sarcasme constant de haut niveau que peu de personnes savent décrypter.

Donc, Edward, quand il ne sait pas quelqu’un chose, il s’énerve, et il boude. Dans le fond, il est assez gamin, malgré cette impression de très grande maturité et de confiance ne soi exacerbée qu’il a. Parfois, il fait mine que ça ne l’intéresse pas, ou il dénigre. De toute façon, ce n’est pas comme si les gens lui parlaient beaucoup ou lui demandaient son numéro de téléphone. Il serait obligé de répondre qu’il n’en a pas (et que s’il en avait un, il ne saurait pas du tout s’en servir.)

Ce qui pose un problème, c’est le jour où il a appris qu’une certaine américaine avait décidé d’écrire un bestseller sur une histoire d’amour entre une cruche et un vampire. Vampire qui porte le même nom que notre concerné. A vrai dire, il n’en avait jamais entendu parler, avant d’arriver à Aisling et de se mêler pour la toute première fois à d’autres élèves de son âge. Les livres aussi médiocres ne faisaient pas parti de la collection de ces parents. Il avait envisagé alors de se faire appeler par son deuxième prénom, Alexander. Mais soyons sérieux, qui n’aurait pas la flemme de l’appeler « Alexander » à chaque fois ? Tout le monde serait pris d’une envie de raccourcir en un « Alex » bien familier. Et la familiarité, c’est bien l’une des choses qu’il ne supporte pas.

Edward, il est né aux Etats-Unis. Cependant, pour cause de travail, mutation, les parents ont vite déménagé en Angleterre, dans un grand manoir pas très loin de Londres, mais perdu au milieu du brouillard et de la cambrousse. Officieusement, c’est plutôt parce qu’ils ne pensaient pas les Américains capables d’éduquer correctement leur progéniture. Vous comprenez, les parents d’Edward, c’étaient de riches bourgeois descendant d’une famille noble qui avait fui l’Angleterre lors de la mise en place de la monarchie constitutionnelle. Ils avaient embarqué pour le nouveau monde, et avaient réussi leur vie là-bas. En fait, il s’agissait d’un retour au pays.

La famille Hopekins a une conception très dépassée des relations entre êtres humains civilisés. Pour eux, la noblesse a toujours été au dessus des simples bourgeois et prolétaires. Bien que cette vision des choses ait complètement disparue des esprits avec l’abandon du système féodale, il est de tradition de faire faire un bourrage de crânes aux enfants pour qu’ils comprennent à quel point ils sont supérieurs aux autres. Et Edward y a eu le droit pendant quatorze années de sa vie. Il n’a jamais été à l’école avec les autres gamins de son âge. 6/7 jours, des professeurs particuliers venaient lui enseigner directement au manoir. Il sortait bien sur, parfois, mais c’était uniquement pour ses cours d’équitation, où quand le professeur de sciences biologiques l’emmenait faire un tour pour observer la nature.

Il se trouve donc qu’Edward est excessivement intelligent. Outre sa mémoire photographique, il peut parfaitement parler, en plus de l’anglais, le français et l’allemand, et possède de solides bases de russe et d’italien. Il possède assez de connaissances en sciences et en maths pour pouvoir passer les concours des plus grandes universités. Il joue aussi du piano à la perfection. Concernant ses préférences, il se trouve que le jeune homme est particulièrement attaché à la langue de Molière, et qu’il peut lire des livres en français pendant des heures entières. Son traité philosophique favori est Also sprach Zarathustra. Ses compétences en dessin s’étant vite relevées médiocres –au grand damne de ses parents qui auraient tant aimé que leur enfant soit parfait-, il a vite arrêté l’art.

Ce qui manque cruellement à Edward, c’est tout ce qui se rattache à la société. Ainsi n’a-t-il jamais été capable de comprendre les Sciences Economiques et Sociales, ou la philosophie –à part celle de Nietzche-. Pour avoir réussi à lui rentrer toutes ces idées de supériorité, ça, ils ont été grandioses. Le jeune homme a grandi avec un dédain pour le peuple le plus total, et la ferme conviction qu’il est au dessus des autres. Les gens ne méritent que son sarcasme et son mépris. Même ses parents ont fini par se demander comment il allait survivre quand il serait plus grand et devrait se mêler au monde extérieur. Ce n’était peut-être pas si judicieux que ça. Parce qu’Edward, c’était pas le genre à se taire et à ignorer les gens. Non, lui il se moquait ouvertement des passants et de leur façon de s’habiller, des jeux de pauvres des gamins de son âge, de la dame derrière le comptoir en surpoids. Et le pire, c’est que c’est même pas un ado malpoli et insultant qu’on peut réprimander. Son niveau de langage était bien trop élevé pour qu’on puisse penser qu’il soit mal élevé. S’il n’y avait pas eu le rire, et juste le sarcasme accompagnant, la quasi-totalité des gens n’auraient jamais compris qu’il se foutait de leur gueule.

De loin, Edward a toujours paru très mature, car il était grand pour son âge, et il dégageait un certain charisme, le tout additionné à son langage très soutenu et ses nombreuses connaissances, on avait du mal à se rendre compte qu’on avait un garçon de quatorze ans en face. Le problème, c’est qu’il a des lacunes dans son comportement avec les gens, et des lacunes sur ce qui nous parait le plus banal possible. Chez eux, ils n’avaient pas la télé. Il est donc impossible de lui parler de dessins animés, de séries. Il avait des cours d’informatique avec un ordinateur, et excelle donc en codage et confection de programmes. Mais il n’a pas de téléphone portable et serait incapable de s’en servir, même pour appeler quelqu’un. Parfois, sa cousine passait à la maison avec des jeux vidéo et s’amusait à lui montrer. Comme il n’y connaissait rien, il faisait style que ça ne l’intéressait pas. Il ne connait aucune règle d’aucun sport mis à part l’équitation, et n’a jamais touché un ballon, que ce soit football, basket ou rugby, de sa vie.

Son pouvoir s’est manifesté très tard. Maintenant qu’il y pense, c’est peut-être juste parce qu’il n’avait pas eu l’occasion de l’utiliser avant. Edward avait quatorze ans, et sortait tout seul en ville parce que sa mère l’y avait envoyé chercher son collier. En chemin, il était tombé sur une bande de garçons de son âge, qui bien que plus petits, étaient bien plus musclés que lui par les nombreuses années de rugby qu’ils avaient. Bien sur, même si Edward était très intelligent, il n’avait pas pu s’empêcher de la ramener en voyant l’un des mecs rater la passe. Ces derniers s’étaient mis à lui parlé avec une incroyable familiarité, l’appelant « Ed » comme s’il s’agissait de leur ami de toujours. Le jeune homme qui n’avait quasiment jamais adressé la parole à des gens aussi vulgaires et familiers s’était juré intérieurement qu’ils feraient mieux de soigner leur vocabulaire. Et tout d’un coup, chacun d’eux ponctuait sa phrase d’un « plait-il ? ». A vrai dire, eux-mêmes ne comprenaient pas la situation.

En rentrant, il s’avérait qu’une lettre était arrivée et informait les parents de ce qui s’était passé ainsi que des démarches. D’abord récalcitrants à l’idée que leur fils aille dans une école, avec des gens de son âge et de classe bien inférieure, au beau milieu de l’Irlande, pays pauvre et dépeuplé, ils avaient fini par se dire que cela lui permettrait d’apprendre à vivre en société, à défaut de lui apprendre des connaissances qu’il possédait depuis bien longtemps. De plus, approfondir la maitrise de son pouvoir pourrait toujours s’avérer utile. Et malgré cette surprise de taille, ils regrettaient qu’Edward n’ait pas un don un peu plus puissant qui refléterait la haute lignée dont il provenait.

C’est ainsi qu’Edward intégra en début de quatrième année l’école irlandaise. Autant dire qu’il avait du mal à s’y faire. Autant d’adolescents dans un endroit aussi petit et inconfortable, des chambres à partager à plusieurs, et une vie avec d’autres gens au quotidien. Sans oublier sa méconnaissance de la culture populaire. Il se trouvait plutôt bien installé chez les PSY, bien que ses sentiments aillent plutôt vers les ELEM, qui avaient un idéal assez proche du sien. Mais tout ce qu’il souhaitait, c’était de partir le plus vite possible.