" Oh bon sang, non ! Un rituel bouddho-satanique ! Il se débattit sans parvenir à échapper aux liens qui l’entravaient, craignant d’être recouvert à tout instant par des entrailles de poulet unijambiste, scarifié au couteau à beurre ou il ne savait trop quoi… Il se doutait bien que les manies de son camarade n'avaient jamais eu pour but que de dissimuler sa part d’ombre ! Et celui-ci continuait sa cérémonie, sans se troubler, avec sur les lèvres un grand sourire béat. "

" Puis il s’avança, déplaça quelques bureaux de sorte à dégager un espace suffisamment large, y déposa le livre qu’il portait sous le bras, l’ouvrit à une page préalablement marquée, se plaça en face. Une fois tous ces préparatifs accomplis, il invita l’autre à s’asseoir, inspira profondément, puis entreprit de relever derrière lui sa jambe gauche, de l’agripper en basculant son corps en arrière – ce qui échoua -, l’attrapa finalement en passant ses bras derrière son dos, se pencha en avant et se mit à sautiller sur place, faisant craquer au passage quelques uns de ses os.
« Je ne… tiens pas… encore… très bien… l’équilibre… »
Au bout d’une dizaine de secondes, durant lesquelles il manqua de s’affaler par terre à de multiples reprises, il relâcha son pied et s’étira. Puis il ramassa l’ouvrage qui gisait misérablement par-terre pour l’agiter sous le nez du feng-shuiste, tout en pointant du doigt son titre : Combattre son Impuissance par le Yoga. "

" Pour une nouvelle année consécutive, il allait pouvoir profiter pleinement d’une Burns’ Night à l’irlandaise - c'est-à-dire inexistante. Sans kilts, si ce n’était le sien, sans chansons traditionnelles, et surtout, surtout, sans le moindre Haggis. Ce n’était pas faute d’avoir tenté de mobiliser les foules, pourtant - quoi que les assommer avec son air maussade et ses discours d’exilé n’était peut-être pas une méthode des plus efficaces -, mais ses camarades étaient vraisemblablement restés insensibles à sa cause…
Les rustres. "

" Il fit pivoter la clé dans l’ouverture et poussa la porte devant lui, satisfait tout de même que son analyse se soit bel et bien avérée exacte, et ce depuis le début. Dans la lancée, il jeta même un coup d’œil à l’intérieur… Et se retourna vers le jeune homme, les yeux écarquillés, le visage enthousiaste.
« Attends… C’est une cuisine, ici ? »
Il passa de nouveau la tête par l’entrebâillure pour s’en assurer.
« Ca veut dire que tu es cuisinier ? Mais c’est formidable, ça ! Tu sais faire du laverbread ? Ou des œufs écossais ? Allez, ce serait la moindre des choses ! »
Sans attendre l’avis de son interlocuteur, il avait déjà posé un pied sur le carrelage, contemplant d’un air émerveillé les fourneaux et les ustensiles, autant d’instruments susceptibles de recréer entre ces murs les saveurs de chez lui. Tournant une dernière fois la tête, il lança au marmiton un regard plein d’espoir.
« S’il te plaît ? » "

" C’était vrai, ce n’était pas comme si, la nuit, une bête assoiffée de sang était susceptible de s’introduire dans la serre où il avait justement choisi de se rendre. User d’un minimum de raison suffisait à prendre conscience que la probabilité en était bien trop faible… Et puis même dans ce cas, comment aurait-elle pu ouvrir la porte, hein ? Sans main. Sauf si elle en avait, justement. L’Ecossais jeta derrière lui un œil inquiet et se remit en chemin. Bon sang, il était tout bonnement ridicule de s’effrayer de la sorte alors qu’il ne cherchait qu’une inoffensive rouquine… Il parcourut quelques mètres supplémentaires, ne pouvant s’empêcher de remarquer que la végétation semblait s’épaissir au fil de son trajet. Mince, il était dans une serre, pas dans une jungle ! Il s’arrêta de nouveau net quand quelques feuillages frémirent au loin, puis ne put se retenir d’accélérer la marche en empruntant la direction inverse – ce ne pouvait être qu’un courant d’air, un courant d’air ou le moineau qui avait décidé de se poser, mais certainement pas un loup, un tigre, un zombie, un dragon tricéphale, doté de crocs, de griffes acérées, l’estomac vide, qui l’avait pris en chasse et comptait bien se jeter sur lui pour le dévorer vivant. Non, non, certainement pas. Pas de quoi paniquer. "

" Il s’agissait bien d’Aisling, dans sa vision, il en avait la certitude. Mais pourtant, il ne reconnaissait aucun des élèves… Et depuis quand ces derniers se déplaçaient-ils sur des planches aéro-glisseuses ? Tout cela ressemblait à un mauvais film de science-fiction. …De science-fiction ? Voyait-il… l’avenir ? Non, bien sûr que non, il ne pouvait voir que le passé de cette manière ! Mais alors… Cela signifiait-il que…
Il leva les yeux vers la voiture.
Non, il divaguait. Ce genre de phénomènes ne pouvait pas se produire ! C’était tout bonnement impossible ! Oui, complètement impossible ! Et pourtant… Oui, pourtant… Pourtant, à cet instant, il se sentait plus perturbé que jamais… "

" On dit que casser un miroir porte malheur. Selon l’écossais, il n’y avait pas de fumée sans feu. Il avait toujours trouvé la symbolique intéressante, que le bris d’une image puisse mener à celui du modèle… A savoir maintenant s’il s’agissait d’une cause ou d’un signe avant-coureur, voilà qui était une autre histoire.
Mais un sablier – Ou une montre, ou une horloge, ou un chronomètre, tout cela était lié. Un sablier. C’était pire que tout. Cela revenait à briser la course du temps, le passé, le présent, l’avenir, l’espoir et le possible ! Cela revenait à s’anéantir soi-même, à entraîner l’Univers dans sa chute, à faire sombrer le monde dans le chaos ! Pire qu’un séisme, pire qu’un ouragan, pire qu’un tsunami, pire qu’un feng-shuiste, et pire que tout cela réuni : en soi, une Apocalypse. "

" « Commençons par les équations.»
Elwyn avait bu une gorgée de chocolat, puis prononcé cette phrase de façon presque banale, naturelle. Comme s’il était possible d’envisager commencer un devoir de Maths sans affecter une mine lugubre, ou employer un ton sinistre. Sans une marche funèbre de Chopin en fond sonore, sans voûter les épaules, sans prendre sa tête entre ses mains et verser trois larmes, ne serait-ce que pour la forme, particulièrement s’il était question de barycentres ou autres fonctions dérivées. Comme si ce genre de torture était parfaitement légitime, enfin, et comme si aligner chiffres et lettres absurdes selon des règles absurdes n’était pas absolument absurde en soi. Il y avait là matière à s’inquiéter, soit pour son propre sérieux, qui s’avérait vraisemblablement plus bas encore qu’il ne se l’était imaginé jusque là, soit pour l’état psychologique actuel du jeune Irlandais… Certainement les deux, en fait. Mais, dans le doute, il se promit de veiller scrupuleusement à ce que son camarade ne se défenestre pas avant la fin de leur séance de travail - Non, parce qu’on ne sait jamais, hein… Enfin bref. "

" S’il est agacé ? Non, pas du tout. Juste pas très à l’aise, parmi tout ce monde qui virevolte alors qu’il manque à chaque instant de s’affaler par-terre. Si ses joues s’empourprent ? Oh oui, mais ce n’a rien de très nouveau, au fond. Il faut dire qu’il n’est pas non plus l’un des élèves les plus téméraires de l’école. Alors il se lance dans une tentative peu convaincante d’imitation, s’inspirant plus ou moins du modèle que sont les mouvements de l’autre, piétinant plus sur place qu’il ne danse, mais la volonté est bien là. Puis il finit par tourner sur lui-même au rythme du morceau et de leurs déplacements, esquissant quelques pas maladroits de ci de là, parce que vraiment, il va finir par lamentablement s’étaler, sinon. Ce qui briserait définitivement le charme de la soirée, si ce n’est en outre déjà fait. "