Lorsque les yeux ambrés du jeune homme encore entre-ouverts croisèrent le cadran funeste d’un réveil digital posé sur une table de chevet mais aussi le carillon soudainement de travers suspendu au-dessus de son lit, Yue décréta que c’était une horrible journée qui commençait. Premièrement parce qu’il avait vu que c’était un mardi matin, et il fallait savoir que chez Yue, le mardi était synonyme « d’infamie ». Pourquoi ? Mais pour aucunes raisons scientifiques, si ce n’était que l’asiatique avait décidé qu’il s’agissait là d’un jour maudit dans lequel il ne devait surtout rien entreprendre sous peine de finir par faire une catastrophe nucléaire. Rester enfermé dans son dortoir était son mot d’ordre pour cette période de la semaine, si bien qu’il constata sans surprise qu’il avait loupé les deux premiers cours de la matinée. Tant pis. Il avait peut-être évité un accident inutile, d’autant plus qu’il s’agissait de la physique-chimie ; M. Haille ne lui en voudrait pas de ne pas avoir fait explosé un tube à essai, n’est-ce pas ? Yue n’avait jamais été très doué en chimie. Ou plutôt, la partie pratique de la chimie, où il était censé répondre à quelques expériences douteuses. Alors s’il devait en plus s’y tenter un mardi, non, c’était inconcevable. Sécher les cours n’était pas seulement un acte individuel, il s’agissait d’une action pour le bien publique. …Du moins, c’est ce qu’il pensait avec entêtement pour ne pas culpabiliser et se faire une raison du pourquoi il ne décollait pas des couvertures.

Deuxièmement, le carillon tordu. Il fallait savoir que cet objet à cinq branche était la pièce maîtresse de son Feng shui, pouvant influencer tout ce qu’il se passait dans cette chambre. Il assurait ainsi une harmonie environnementale paisible et équilibrée, pour une atmosphère beaucoup plus sereine dans laquelle il était bon de vivre. Oui, mais, si ce carillon décidait soudainement de pencher d’un côté ou de l’autre, brisant ainsi toute ses propriétés, c’est que quelque chose de terrible allait se passer. Il ne savait pas encore quoi, mais il avait ressenti un long frisson glacé parcourir sa colonne vertébrale en le voyant. Vite, ses boules de geisha. Les faire rouler dans sa main, croyant encore innocemment qu’il ne s’agissait que de boules qi gong petit format. Se détendre. Se dire que ça allait passer, que c’était un mauvais moment à passer. …Quel moment, déjà ? Ah oui, il ne s’était rien passé, mais ça allait se produire. Il le sentait, il le savait. Tout ce qu’il y avait autour de lui était un signe, tout comme sa chaussure renversée, un peu plus loin. Mince. Plus rien n’allait.

C’est avec prudence qu’il se redressa pour s’extirper de son lit, cherchant à tâtons une paire de chaussons en forme de panda (notez que les petites oreilles étaient en 3D et que le tout était duveteux) pour se diriger vers la salle de bain. Oh Dieu Bouddha qu’il avait une sale tête de déterré, les mardis. Ca ne lui réussissait vraiment pas. Il s’empressa de se passer un coup d’eau glacé sur le visage et de passer ses cheveux au peigne fin pour être un peu plus présentable, jugeant qu’il valait mieux les laisser détacher : le ruban ou l’élastique qu’il utiliserait se perdrait sans aucun doute quelque part. Oh, et se brosser les dents, aussi. En évitant de s’étouffer avec son dentifrice à l’anis bio si possible. Il tapota ensuite sa joue, pas réellement convaincue de toutes ces manœuvres. Damnation. Enfer. Peut-être même allait-il tomber malade ? Non, ce n’était pas le moment de penser à des choses fâcheuses. Le reste l’était déjà bien assez. D’ailleurs il s’apprêtait même à sortir solennellement de son dortoir avant de remarquer qu’il ne s’était pas habillé et… que c’était bien beau d’être vêtu d’un mini short en coton en guise de pyjama, mais que ce n’était pas l’idéal pour se présenter au reste de l’école. Mouais. Il fit volteface, attrapa une de ses chemise qu’il voulait noir pour l’occasion (mardi = enterrement), enfila un pantalon, et… remis ses chausson pandas. Involontairement, évidemment. En temps normal il aurait plutôt opté pour des chaussures d’apparence conventionnelle. Mais… Il n’avait pas réfléchit. Réflexe primaire, dirons-nous.
Et ce fut ainsi que Yue sortit de sa chambre solitaire, son sac à moitié vide sur l’épaule.

….Pour réaliser en regardant son portable qu’il était déjà midi. MIDI ?! Non. Il avait dû se tromper, et pourtant… Il ne pouvait pas faire erreur. C’était peut-être mardi, mais les ondes négatives n’auraient pas modifiées l’heure à ce point. Alors il s’avança lentement dans les couloirs sans réelle motivation en direction de la salle Dallach, sans vraiment comprendre pourquoi certaines personnes le reluquaient bizarrement, en bas. Il n’osait même pas aller saluer celles qu’il connaissait de peur de les influer de la malédiction du mardi, s’imaginant que c’était contagieux. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des vibrations négatives. Encore moins quand on pénètre dans une salle bondée de monde affamé qui se précipitent cherché leur plateau. Eh bien soit ! Il se mêla à la foule pour s’emparer d’un peu de tout, en très petite quantité, et il fallait comprendre par un peu de tout « beaucoup de légumes et produits allégés ». C’est à dire qu’il n’y avait quasiment rien de gras dans son plateau, et pire encore, à peine un morceau de pain pour assurer sa dose de féculant. Mais Yue était comme ça, il mangeait peu et sainement, et ça lui convenait parfaitement. Alors il scruta la salle du regard pour tenter de trouver une table où il pourrait s’installer, si possible en bonne compagnie, sinon en solitaire. ….Moment de solitude. Silence. …Bon, cela serait la deuxième option. Il n’allait pas s’en faire pour si peu. Et les mardis, c’était mieux pour tout le monde.

Cela faisait à peine une dizaine de minutes qu’il s’était installé, lui et ses petits chaussons à tête de pandas, qu’il crut ressentir quelque chose de terrible. Un ressenti comme il en avait avec son don, lui signifiant que quelque chose d’horrible, pire, d’épouvantable allait se produire dans les secondes à venir. Il coupa sa respiration. Se crispa. Balaya l’ensemble des éléments constituant l’énergie néfaste de la salle. Sentit un nouveau frisson l’envahir.

Et c’est ainsi qu’il le vit.
Le travesti, cette ignominie.

Ou son pire cauchemar, au choix. Actuellement, deux choix se présentaient à Yue : Fuir à toute jambe quitte à abandonner son plateau, ou bien affronter sa terrible destinée et ne pas bouger de son siège. Il décida de ne pas fuir devant l’ennemi. Parce que Yue était fort. Yue était courageux. Yue ne se laissait pas abattre pour si peu. Et surtout, Yue était un peu maso.

Il se recula d’un cran en le voyant arriver vers lui –parce que oui, leurs regards s’étaient croisés, inévitables et profonds, lui signalant qu’aujourd’hui, c’est lui qui allait morfler-, tirant un peu son plateau en avant. S’ensuivit un tremblement de terre et une cuisse de poulet volante. Oh. Bouddha. Lui qui n’avait pris qu’un petit morceau de blanc, le voilà qui faisait face à une assiette pleine de graisse et autres aliments non identifiés qui lui retournait l’estomac rien qu’à les regarder. Mais le pire, le pire dans tout ça, c’était les grands yeux bleus qui lui faisaient face et qui pétillaient de malice, lui signalant effectivement, que sa catastrophe du jour, c’était Wilde. Et quand ses lèvres s’ouvrirent, il eut l’impression de comprendre ce qu’un condamné à mort pouvait ressentir lorsqu’on lui annonçait de quelle façon il allait être exécuté. …Et très étrangement, ce « YUEEEEEEEEEE » un peu trop enthousiaste fit échos à un « NOOOOOOOOOOOON ! » cinglant dans sa tête, mais qu’il retint de clamer de façon à opter pour quelque chose de plus simple :

« Vivienne. »

Est-ce qu’on lui avait déjà dit que sa voix avait l’air de sortir d’outre-tombe ? Non ? Ah bon. Pourtant ça aurait pu, surtout en cet instant où il se sentait joie et amour. Pourquoi ? Parce qu’il savait que ce blond ne pouvait se contenter d’une simple salutation sans embrayer sur de multiples sujets qui lui donnaient mal à la tête. Et c’est ce qu’il se produisit. Evidemment. Quelqu’un ne pourrait pas lui venir en aide, là, tout de suite ? Non.. ? Le pire c’est qu’il voyait Catharina, a une table un peu plus éloignée. Oh qu’est-ce qu’il aurait aimé être avec elle et ne pas avoir à subir ça…. Au début, Yue tenta de raccrocher quelques mots pour y répondre. Retenir des phrases, des choses qui l’avaient choqué. Comme le fait que d’après lui il était japonais, ou encore qu’il faisait du « fringue choui », qu’il s’était acheté une robe, qu’il portait une petite culotte… Une petite culotte qu’il comptait lui montrer ? Seigneur Bouddha non pitié ! A cette pensée il décrocha littéralement au reste du monologue, son visage se décomposant un peu plus à chaque parole prononcée. …quoi que ? Quelque chose le frappa soudainement et le fit réagir (comprenez ici, « hausser un sourcil »). Vivienne. S’incrustait. Dans sa chambre. Plait-il ? Yue se promit mentalement de fermer la porte à clef plus souvent. Il fit également l’impasse sur l’histoire des boules de geisha, jusqu’à ce qu’il l’entende insinuer qu’il était « une bête au lit ». Sans vraiment se contrôler, il avala de travers l’eau qu’il avait dans son verre, le faisant tousser à s’en écorcher les poumons un moment plutôt considérable. Non mais depuis quand on l’imaginait dans de telles situation ? Et encore plus en fier dominateur ? S’il n’était pas aussi choqué il lui aurait sans doute pris ses jambes à son coup pour s’enfuir de cette tornade pour qui le bouton off n’existait pas. Mais non. Soit fier, Yue. Affronte. Tu seras proud de toi ensuite. Oui, enfin… il n’avait pas prévu qu’il allait montrer la fameuse culotte là, maintenant, tout de suite, au milieu de la salle Dallach. Et sous le regard presque inquiet des autres élèves. …Intense moment de solitude soudain, son visage qui perd ses couleurs. Pourquoi lui ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il existait le « mardi », dans une semaine ? Pourquoi Vivienne le collait ? Pourquoi c’était moche la vie ? Cela dit, ce fut après une longe minutes de silence qu’il tendit la main pour attraper prudemment le bord de la culotte satinée entre deux doigt, une mine presque dégoutée sur le visage, et la tirer un peu plus sur le côté. Parce que ce qu’il avait vu, c’était moche. Et prévoyant d’avance le kyattage interplanétaire de la blonde, il s’empressa de justifier cet acte presque anodin :

« Il y a un petit bout qui dépassait. »

Rien que ça. C’était si charmant, dit de cette façon. Comme si ça ne l’affectait pas. Alors qu’il était en plein conflit intérieur et luttait contre une dépression passagère. Il pensa également à rabaisser sa jupe, pas vraiment désireux d’avoir affaire à ce spectacle érotique - ?- plus longtemps. Puis ce fut un long, très long soupir qui entrava ses lèvres, une sensation de fatigue déformant ses traits et l’envahissant brusquement. Le coup de barre, dirait-on. Et cette fois, la barre, appelée Vivienne, faisait son effet. Petite, mais puissante.

« Ecoute. »

Il croisa ses mains, coude posés sur table, ne sachant pas vraiment quoi dire avec cette slave destructrice de paroles dont il avait eu affaire. Mais surtout, il ne savait pas comment s’y prendre pour lui dire poliment –très poliment-, de dégager avant qu’il lui arrache la tête.

« …Ta… petite culotte noire satinée est très belle, vraiment. Je suis sûre qu’elle fera un ravage, et que Art en sera raide dingue. D’accord ? Mets la plus souvent, vraiment, c’est un conseil de… … d’ami. Et de connaisseur. D’ailleurs l’autre jour j’ai trouvé une carte d’Albator qui trainait par terre. J’ai pensé à toi, il faudra que je te la donne. Bon. Ensuite, j’ai constaté durant cet instant que tes chakras intérieurs semblaient être en conflits. Il va falloir arranger ça au plus vite, mais je crois que tu t’en fiche. Après tout, je dis ça pour toi, mais tu sembles…. Très bien le vivre. Tant mieux, cela-dit. Si tu n’as pas besoin d’un équilibre intérieur en harmonie c’est tout à ton avantage. Mais comme tu l’as si bien constaté, non, je ne suis pas vraiment d’humeur à rire et m’émerveiller devant la dentelle qui recouvre ton organe reproducteur. D’ailleurs si tu restes plus longtemps à cette table je risque fortement de te contaminer à mon malheur et à mon désespoir. Donc. Si j’avais un seul conseil à te donner, cela serait celui-ci : »

Il le fixe intensément, ses yeux s’étant agrandis dans une expression presque menaçante et paniquée. Chaque syllabe se détachant d’une façon funeste, signifiant que Vivienne n’aurait pas vraiment le choix entre plusieurs alternatives :

« Pars vite tant qu’il en est encore temps. »

Ou sinon c’était lui qui allait fuir sans demander son reste. Il n’y avait pas d’autre alternative. Supporter Wilde était une épreuve encore trop élevée pour son niveau, et quelqu’un de sensé aurait déjà récupéré son plateau pour s’isoler dans une autre pièce. Oui mais là était le problème : en plus d’être maso, Yue n’était pas comme tout le monde. Cela expliquait sans doute bien des choses. Et en partie celle de faire face au physique. Fight.