C’était connu, Stone Blackwood n’avait peur de rien. A Aisling, le grand jeu auquel tous les élèves participaient, consentants ou non, consistait à traquer les moindre faiblesses chez leurs camarades. Histoire de faire partager à tout le monde les phobies de chacun. Et savoir ou frapper quand on en a besoin. Oui, dès qu’il était question de prendre dessus sur quelqu’un, la solidarité (?) régnait en maitre. Mais s’il y avait bien quelqu’un dans toute l’école à ne pas avoir eu droit à son moment tant attendu de déshonneur le plus vil, c’était bien la plus méprisante de toutes. A savoir, Stone Blackwood. Et la rouquine s’en targuait dès que l’occasion s’en présentait.
Pourtant ce n’était pas faute d’avoir cherché. On avait creusé toutes les pistes possibles, allant des plus
évidentes pour une fille jusqu’aux plus tarabiscotées.

On avait essayé toutes les bêbêtes écailleuses, tel que placer de charmantes couleuvres dans sa chambre. Gamineries qui s’étaient soldées par un simple « j’ai entendu dire que ces barbares d’asiatiques les mangeaient. Brunnel, j’aurai besoin d’une petite flammèche. »
On avait tenté l’obscurité, la noirceur la plus totale d’une chambre fermée à double tour. Elle avait déclenché le tonnerre irrégulièrement durant plus de deux heures pour passer le temps.
On avait pensé à fouiller dans son passé, à la recherche de la plus petite honte ou humiliation au cours de son enfance pouvant tenir lieu de faille potentielle. Eris avait été catégorique : Ses parents étaient tout à fait adorables (je vous laisse imaginer le nombre de remise en doute de ce point) et jamais personne ne l’avait vraiment bafoué, ridiculisé ou rabaissé.
On s’était pourtant creusé la tête à trouver, dénichant des ressources d’imagination pour tenter de mettre le doigt sur le point à appuyer pour la faire plier. Oh bien sur, il restait toujours le joker, la carte gagnante qui marchait à tous les coups, j’ai nommé Samaël Esaias. Mais la carte était dotée d’une volonté propre et dans le cas présent ne fonctionnait que selon son bon vouloir. On ne pouvait vraiment compter sur personne.

Alors on avait abandonné, espérant que cela tombe du ciel un jour ou l’autre. En l’occurrence, devant quelqu’un susceptible de le faire partager à toute l’école. Mais il se trouva que cette faiblesse tant attendue soit révélée devant une personne qui n’en avait strictement rien à faire.

Cette tragédie, (du moins pour une certaine rousse,) se déroula un après-midi banal du mois de Juin, bien qu’assez belle et ensoleillée pour pousser presque tout Aisling dehors à batifoler sous un soleil trop rare en Iralnde. Restait toujours les inconditionnels de l’asociabilité tels qu’Acacia, fermement décidée à tenir un siège dans sa chambre qu’importe le temps qu’il faisait derrière ses rideaux, ou Oxford, qui préférait de loin apprendre les règle des réactions nucléaires, notamment cette histoire de fission de l’Uranium 235 qui lui faisait toujours de la résistance plutôt que de profiter des vagues rayons du soleil. Et évidemment, on ne pouvait établir une liste correcte des incorruptibles sans citer Stone. Le but principal dans la vie de cette dernière était d’éviter le plus possible l’espèce humaine (bien qu’il subsistait perpétuellement des crétins pour augmenter le taux de stupidité de son quotidien) et aux vus de l’exode massive de la populace inepte et caquetante d’Aisling vers la plage, la rousse avait établi son nouveau QG au rez-de-chaussée du dortoir dans la salle de détente. Ayant au préalable vérifié une bonne vingtaine de fois dans les chambres que personne ne comptait descendre et gâcher par la même occasion sa sollicitude tant attendue dans les heures qui suivaient, elle s’était confortablement installée dans le divan inlassablement occupé en temps normal et avait ouvert son bouquin à l’endroit indiqué par son marque-page rouge vif.
Et Stone Blackwood, cette garce connue pour son irrépressible cynisme et dédain du sentiment le plus noble se plongea avec avidité dans les Hauts de Hurlevent. Comprenez maintenant le rituel de vérification. Qui irait imaginer que la terrible élémentaire à l’implacable répartie passait son temps à lire des romans à l’eau de rose parlant d’amour passionnel et intemporel ? Évidemment personne. Et personne ne devait jamais être au courant. C’était une question d’honneur. Mais comme toute question d’honneur chez Stone Blackwood depuis l’entrée dans sa vie d’un certain brun, cela se devait d’être réduit en charpie jusqu’au plus petit morceau. Mais pour une fois, ce ne fut pas le grand méchant loup et l’erreur fatidique de toute sa vie qui participa à l’évènement. Cela aurait été bien trop simple à deviner, n’est ce pas ? Non non.

En ce superbe jour donc ou Stone lisait paisiblement recroquevillée sur le canapé, un forme non identifiée à terre attira son attention. Car il fallait le préciser, la rousse n’avait pas qu’une seule faiblesse. Elle avait aussi cette peur stupide, dénuée de tout sens, sottement niaise et si féminine, oubliée par ses camarades dans leurs recherches et qui ne leur avait surement jamais traversé l’esprit tant elle paraissait risible et vouée à l’échec avec un adversaire tel que Storm.
La forme non identifiée se rapprocha de quelques centimètres, lentement, et pétrifia Blackwood par la même occasion. La demoiselle sentit son sang se glacer. Sa bouche s’assécher. Ses yeux s’écarquiller. Ses mains se crisper. L’araignée amorça la montée sur le canapé.
Il fallait dire que le spécimen était superbe. Si une quelconque pensée avait pu traverser le cerveau de la demoiselle à ce moment-la, nul doute que les mots « Démesurément gigantesque », « atrocement velue » et « aux crocs acérés » bien que l’on put résolument douter de la constatation de ce dernier point, auraient pu être très nettement perceptibles. Admettons tout de même que la chose devait bien faire 3 affreux centimètres. 3 centimètres qui paraissaient démesurément trop pour les yeux exorbités de Stone. Surtout lorsque ces 3 centimètres d’horreur se rapprochaient inexorablement d’elle.

Malheureusement, il se trouvait que l’Arachné possédait une supériorité non négligeable sur le cerveau de Storm qui empêchait tout mouvement de quelques natures qu’il fut. Même l’instinct de survie le plus bas : la fuite. Tétanisée, sans issus de secours, son brillant esprit de déduction et de logique ne mit absolument rien à profit dans les secondes qui suivirent pour organiser un plan d’évasion couronné de succès. Lorsque la terrifiante bête velue (OH MON DIEU elle pouvait même discerner ses yeux cruels et gigantesques maintenant) arriva à moins de 50 centimètres d’elle, Stone se rendit compte qu’elle n’avait plus aucunes chance de s’en sortir vivante. Elle qui avait combattu avec force les pires brochettes d’abrutis, survécu aux hivers les plus glaciaux de son pays natal ou encore sortie vivante des batailles épiques contre Dell’Elce, voyait sa fin arriver avec l’approche d’une minuscule bestiole de quelques pauvres centimètres. Ainsi aller donc se terminer la trépidante vie de Stone Blackwood.

Elle ne pouvait tout de même pas finir comme cela. Non. Elle se devait de faire face à l’ennemie que diable ! Toujours tout tenter avant de déclarer forfait. Oui, elle devait-

▬ HIIIII RECULE BETE IMMONDE RECUUUULE.

Ou pas.
L’araignée se faisait apparemment un grand plaisir à parcourir les derniers centimètres qui la séparait de sa nouvelle victime. Cette dernière avait d’ailleurs eu une soudaine montée d’adrénaline qui l’avait poussé à se relever d’un bond, se retrouvant debout sur un coin du canapé, bloquée par son agresseur démesurément fort. Ratatinée contre le dossier du sofa, ses ongles s’agrippant avec vigueur à celui-ci, son livre gisant sur le sol, (non, l’idée de l’utiliser pour abattre la chose ne l’avait même pas effleuré) Storm ne pouvait pas donner image plus pitoyable. Et c’est ce moment précis que choisit Clyde Buckley pour entrer dans la salle.

Imaginez-vous un peu à sa place. Vous êtes venu chercher des affaires oubliées dans votre chambre, et en ouvrant la porte de la salle de détente pour aller au dortoir, vous tombez sur une Blackwood debout sur un minuscule bout de canapé, paraissant plus que tétanisée et morte de trouille. L’espace d’un instant, Clyde pensa à fermer et rouvrir la porte pour s’assurer que tout ca n’était que fruit de son imagination. Mais le terrible « BUCKLEY » que la rouquine prononça lui fit comprendre que ce n’était pas la meilleure solution s’il tenait un tant soit peu à sa vie.

▬ Euh. Blackwood. Tu m’expliques ce que tu fais dans cette position ou je dois me taire et faire comme si de rien n’était si je veux revoir la lumière du soleil un jour ?

Apparemment, la question était trop difficile pour son interlocutrice. Rien à faire, son regard était bloqué sur une partie du canapé, pratiquement à ses pieds.

▬ Blackwood ?

Il s’approcha lentement, essayant de voir ce qui paralysait autant l’élémentaire. Lorsqu’il fut à quelques centimètres d’elle, il vit le monstre. Et il écarquilla les yeux.

▬ Blackwood. Ne me dis pas que-

Le spécial n’eut pas le temps de finir. La grande, la terrible, l’implacable Stone Blackwood, celle qu’il avait toujours vu drapée de fierté et de dédain pour le commun des mortels, venait de ses jeter dans ses bras. Heureusement qu’il avait suivit un entrainement spécial intensif de récupération de rouquine au vol assez long pour ne pas tomber. Elle avait de la force, la gamine. Enfin, gamine. Sa taille et son poids hurlaient à l’enfant d’à peine plus de 15 ans, alors que son regard valait tous les patrons d’entreprise assez vieux pour se faire le plaisir de l’arrogance altière. Ses bras s’accrochaient férocement autour de son cou et ses jambes formaient un étau assez solide pour tenir sans qu’il ne la tienne. Mais, mu par l’habitude et le roux désordonné qui cachait une partie de sa vu qui ne faisait que renforcer cette idée, il referma les bras sur le corps encore tremblant de la rouquine qui ne fit rien pour l’en empêcher. Elle avait une peur atroce. Tellement puérile, mais atroce de ces bestioles. Rien que le fait d’en voir une bloquait son cerveau pour plusieurs secondes pour passer un message d’alerte clignotant en rouge : ALERTE ALERTE VEUILLEZ VOUS ÉLOIGNER DE CETTE CHOSE SOUS PEINE DE RECONVERSION EN LÉGUME. 5, 4, 3, 2, 1…
Ce fut pour cela qu’elle profita de l’absence de la vue de cette immondice pour hurler à son sauveur ;

▬ ÉLOIGNE MOI DE CETTE CHOSE BUCKLEY. VITE.

En règle générale, Clyde n’aimait pas faire plaisir aux gens juste par pure bonté d’âme. Il était plutôt du genre à en profiter pour enfoncer encore un peu plus la personne sans même qu’elle ne s’en rende compte. Mais la situation lui parut tellement incongrue qu’il obéit sans même s’en rendre compte.

Elle ne le lâchait pas. Fermement accrochée à son tee-shirt, Stone ne donna aucun signe de relâche. Et Clyde ne savait pas quelle solution adopter. Il allait s’essayer à la calmer pour pouvoir enfin sortir de cette situation lorsque la porte de la salle s’ouvrit une nouvelle fois. Et Clyde se dit que cette histoire allait très sûrement le poursuivre toute sa vie. A cause d’une ridicule araignée.

Il est de notoriété publique que dans ce genre de situation, ce n’est pas un individu lambda qui intervient. Non, car si c’était le cas, rien d’intéressant ne pourrait être approfondit par la suite. En règle générale, c’est dans les situations les moins glorieuses où l’on prit de toutes ses forces que personne de notre connaissance, lointaine ou très proche, n’assiste à notre chute ultime dans les tréfonds de la honte. Et pourtant, ce sont toujours les plus intéressés qui interviennent. Expliquons tout de même que les nouveaux arrivants se rendaient dans les dortoirs dans un but précis et non pour simplement arriver au bon moment. L’un venait pour chercher Clyde, et l’autre pour chercher Stone. S’étant croisés quelques mètre plus loin, ils avaient tout naturellement décidés de faire chemin ensemble pour retrouver leur comparse mutuel tout en parlant et riant.
En ouvrant donc la porte, les deux nouveaux arrivants cessèrent lentement de rire, et eurent deux réactions complètement opposées. Le sourire d’Aelys s’estompait de seconde en seconde dans le plus grand silence alors que celui de Samaël ne fit que s’élargir. Puis ce fut le drame.

▬ Samaël ? Tu m’en veux si j’abîme ton jouet préféré ?
▬ Un peu, oui. Mais je ne dis jamais non à une bagarre entre filles.

Alors que Bonnie s’avançait vers Clyde d’un air qui présumait qu’elle avait enterré depuis longtemps le masque de petite fille guillerette, le démon personnel de l’élémentaire sortit son portable et immortalisa la scène avec un regard qui présumait que la photo allait faire le tour de tous les réseaux sociaux d’Aisling dans la soirée.

▬ Aelys, ce. Ce n’est pas ce que tu crois, tenta de se défendre le brun en essayant vainement de faire réagir la rouquine qu’il tenait encore dans ses bras et qui préférait fuir le plus de temps possible la réalité qui s’annonçait plus que cauchemardesque pour elle.
▬ Toi, attends ton tour. Blackwood, descends de la, on a à parler.
▬ Alors Buckley , lança gaiment Samaël, comme ca on tombe pour toutes les rousses qui passent ?

Oh oui, cette histoire allait définitivement le poursuivre tout au long de sa vie.